Grâce à la camera obscura je vois que le plus fort n’est pas le plus visible, aussi je trempe mes yeux dans les flaques de lumière avant d’essayer de viser le bon endroit pour déposer la tâche sur le papier argentique. Le bon endroit, le juste placement, est aussi important que l’impression que je peux y laisser. Saisir cette manière d’être dans l’ouvrage détermine la vocation de l’image, la profondeur de son vocabulaire, sa valeur infinie ; la photographie est alors une œuvre d’art, ayant pris corps dans la matière, elle ouvre la voie du voir, laissant l’ombre dominer le visible pour mieux donner la victoire à la lumière. Cet apparent succès ne doit pas nous méprendre sur la perte qu’il nécessite. Le règne de la lumière sera toujours un aveu de faiblesse, sinon il précipite sa propre chute, ne peut produire que des œuvres inertes, fermées, inhabitées, invivables en somme, de sorte qu’il est impossible d’y entrer. Vaincre n’est donc pas une destruction, une suppression, mais un effacement, un déplacement de l’invisible entre le jour et sa nuit. Si le jour n’a plus d’ombre, la lumière perdra toute orientation, elle n’aura plus de sens. Si le jour n’a plus d’ombre, c’est parce que la nuit aura perdu la mémoire.
L’image, le poème, donnent à voir ce qui ne peut se montrer, parce que le manque qu’ils contiennent l’un et l’autre est digne de l’absence qu’ils déplorent.
Etincelle jalouse du feu consumé…
Ce texte issu du livre d’art imprimé à l’occasion de l’exposition « Libre à Philippe Brame » en 2019 au musée du Hiéron
« Si quelqu’un me demande qui est Philippe Brame, je répondrai qu’il est la personne qui exprime le profond silence. Et j’ajouterai : cette personne peut entendre la voix de la pierre et le cri de l’arbre… »
Naoko Otha, Galeriste, conservatrice, éditrice et maître de conférences, professeur invité à l’Université Taisho depuis 2013.