Comment se repérer dans le maquis de l’art d’aujourd’hui ? Sur quels critères fonder son jugement esthétique, pour qu’il soit pertinent, assuré ? Il n’existe pas de repère absolu, de démonstration irréfutable; mais on peut avoir des certitudes, fondées sur des illuminations, renouvelées, renouvelables. Je pense au peintre Philippe Cognée qui expose en ce moment de merveilleux dessins à l’Ecole des beaux-arts où il est professeur, ou encore aux portraits sur modèle, pleins d’énergie vibrante, de Damien Cabanes à la galerie Eric Dupont. La réussite n’est jamais question de technique ou de métier mais d’énergie. Ou de ce que je nomme la « présence».
Pour moi, la valeur d’une œuvre contemporaine est fonction de son seul effet de « présence ». Certaines créations existent dans l’espace, elles tiennent face au monde, au tumulte d’aujourd’hui, aux chefs d’œuvres d’hier, et d’autres non, elles sont comme transparentes, vides, déjà vues avant même d’être regardées. La question n’est pas celle de la représentation, ni du choix stylistique ou formel de l’artiste, mais du rayonnement de l’œuvre. La présence, dans son irréductible densité, d’un bois taillé, levé dans l’espace, transforme le monde alentour. Nicolas Alquin, qui expose en ce moment au musée de Soissons, me paraît justement un sculpteur de la présence. Je songe à la Visitation ou surtout à son grand couple, Avec l’arbre. Deux figures, deux corps qui se joignent dans la masse et l’élan d’un tronc de chêne. Un surgissement vertical devant lequel chaque promeneur, chaque visiteur se sent lui-même un homme debout, un homme relevé, un vivant qui se tient, qui tient, face au monde, face au vide.
La présence n’est affaire ni de masse ni de dimension, encore moins de force colossale. Elle est une question de stature, d’aura immatérielle d’une œuvre telle qu’elle s’incarne dans une matière. La sculpture risque toujours de basculer vers la lourdeur, le poids, et l’art se retrouver ainsi encombrant, pesant, inutile. Avec mille nuances, mille brisures, Alquin sait à chaque fois ranimer la forme. Il réveille le bois ou la cire, respecte leur vitalité première. Quelque chose vit dans cette matière, face à nous. Quand la lumière baisse, dans l’ombre qui engourdit progressivement la forme, quelque chose apparaît avec une poignante insistance : la simple présence, réelle présence. Un être, homme, femme, dans un tronc de bois ou un peu de cire.
Un esprit, un dieu, dans la matière.
Paul-Louis Rinuy
Le 5 juin 2013
Philippe Cognée, cabinet des dessins, Ecole des beaux-arts, Paris, jusqu’au 19 juillet.
Damien Cabanes, Galerie Eric Dupont, 138 rue du Temple, Paris 3e, jusqu’au 22 juin 2013.
Nicolas Alquin, Musée de Soissons, jusqu’au 24 août 2013