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Sincérité et Vérité dans le Livre de la vie de Thérèse d’Avila

Saint Augustin pose le problème de l’autobiographie spirituelle au chapitre X des Confessions et introduit ainsi la notion fondamentale de "mensonge", de "dissimulation" dans sa relation à la Vérité :
Publié le 02 juillet 2014
Écrit par Martine Petrini-Poli

« Voici, en effet, que tu as aimé la vérité,
puisque celui qui fait la vérité vient à la lumière.
Je veux « faire la vérité’’, dans mon cœur devant toi, par la confession,
Mais aussi dans mon livre, devant de nombreux témoins.
Pour toi sans doute, Seigneur,
Aux yeux de qui est à nu
L’abîme de la conscience humaine,
Qu’y aurait-il en moi qui te serait caché
Même si je refusais de te le confesser ?
Car c’est toi qu’à moi-même je cacherais,
Non pas moi-même à toi.
« 


Ce souci de vérité est aussi au cœur du Livre de la vie de Thérèse d’Avila. Reprenant Saint Augustin, elle écrit : « Rien ne pouvait rester secret pour celui qui voit tout » (II, 7). Dès le Prologue, elle demande « la grâce d’écrire en toute clarté et vérité cette relation que ses confesseurs lui ordonnent de faire. »
En effet toute autobiographie suppose un « pacte » de sincérité et de vérité sur soi et sur son passé, sur ses fautes. Montaigne, dans les Essais, veut se peindre « tout entier et tout nu » et Rousseau, dans les Confessions, affirme n’avoir « rien tu de mauvais, rien ajouté de bon. » Cependant, ce type de récit se heurte à de nombreuses difficultés : les défauts de mémoire, le désir de se recomposer et de composer, de se justifier, l’impossibilité d’être exhaustif, totalement sincère ou objectif.

Gérard FRANCOIS, Sainte Thérèse d’Avila -1827-, Paris Infirmerie Marie-Thérèse.

Tout d’abord, le récit du Livre de la vie est rétrospectif, il y a donc un décalage temporel entre le temps de l’écriture et le temps vécu, d’où l’inexactitude de certains souvenirs ou de quelques dates.
De plus, le récit est orienté par une relecture providentielle de sa vie, une fois les grâces reçues : « Le Seigneur daignait imprimer en moi, dès l’enfance, le chemin de la vérité » (I, 4). Le narrateur mêle donc aux souvenirs d’enfance ou d’adolescence le commentaire de l’adulte qu’elle est devenue, voire une prière d’action de grâces.
Enfin, le narrateur, qui a conscience des risques qu’il encourt de comparution ou même de procès, va user d’une habile stratégie argumentative pour convaincre ses lecteurs. Elle cherche, au départ, à faire la lumière en elle-même, de façon à déterminer si ses visions sont une illusion d’illuminée ou une ruse du démon, père du mensonge. Elle multiplie les demandes de conseil et de direction spirituelle (XXVIII, 4-6). Une fois assurée de l’origine divine de ses extases, elle construit une sorte de plaidoyer « pro Deo ». On remarque, en effet, dans le Livre de la vie un art de persuader les lecteurs par une disposition habile des parties du discours et de l’utilisation adéquate des arguments.
Ainsi l’ouvrage, réservé au départ à un nombre restreint de lecteurs, voit ses destinataires s’accroître en fonction des indiscrètes divulgations (XI, 21). La présence d’épigraphes et de conseils à la 3e personne du singulier manifeste une intention didactique, sensible dans l’ensemble de la composition. Le récit des grâces accordées précède celui des œuvres en une vivante démonstration, susceptible de répondre aux accusations d’illuminisme ou de luthérianisme.
Craintive au début, Thérèse d’Avila gagne en assurance, comme mue par la force de l’Esprit-Saint : « Voici ce que je puis dire en toute vérité (…) comme Sa Majesté a toujours été mon maître –qu’il soit béni pour tout, car je suis confuse de pouvoir dire cela en toute vérité-, peut-être le Seigneur voulait-il que je n’ai à remercier personne ; Dieu m’a éclairée en un instant et m’a appris à le dire, de sorte qu’on s’en étonnait, et moi, plus encore que mes confesseurs, car je comprenais mieux mon incapacité » (XII, 6).
Investie par le Seigneur lui-même de la mission de fonder le Carmel saint Joseph à Avila, elle  manifeste une habileté de stratège, tout en témoignant de la plus grande obéissance à ses supérieurs. Elle sait manier le secret pour faire acheter par sa sœur une maison pour la future congrégation. L’anonymat de son récit est une preuve d’humilité, mais aussi de prudente diplomatie. Elle témoigne surtout d’une très grande intelligence des situations. Les persécutions qu’elle va subir en seront la preuve.
Au dernier chapitre du Livre de la vie, Thérèse d’Avila nous relate son expérience de la Vérité : « Une vérité de cette divine vérité qui m’apparut resta gravée en moi, sans que je sache par qui ni comment (…) Je ne vis rien, mais je compris le grand avantage de ne faire aucun cas de ce qui ne contribue pas à nous rapprocher encore plus de Dieu ; et je compris ce que c’est pour une âme que d’être en vérité en face de la vérité même. Ce que je compris, c’est que le Seigneur me faisait entendre qu’il est la vérité même (…) Je compris d’immenses vérités sur cette vérité (…) Cette vérité dont je dis qu’on me la fit comprendre est une vérité en elle-même, qui n’a ni commencement ni fin, et toutes les autres vérités en dépendent, et tous les autres amours, de cet amour, et toutes les autres grandeurs de cette grandeur » (XL, 3-4).
 

 

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