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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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L'église dans le paysage urbain contemporain

Publié le : 25 Août 2010
Par Monseigneur Gérard DEFOIS, Archevêque - Evêque émérite de Lille. "Comment l'Église fait-elle signe et sens dans notre paysage urbain contemporain ?" peut-on se demander, lorsque les tours ou les périphériques étendent un filet de constructions nouvelles, de lignes horizontales, à l'entour d'une antique église néomédiévale au clocher anachronique ou d'une de ces bâtisses des années 60, quand les architectes cherchaient par là à se faire un nom par des toitures plates ou des pentes vertigineuses, sans meilleure conscience de l'espace religieux.

Si l'on doutait de la pertinence de la question, l'évêque peut en montrer la vérité : n'est-il pas assailli de reproches lorsque le projet d'abattre un bâtiment pour des raisons d'insécurité soulève des polémiques, en particulier chez les non-pratiquants, tant ils tiennent à ce que leur univers ne soit pas privé de cette référence à un ailleurs des échanges horizontaux et des rapports utilitaires qui dominentles relations dans une société de consommation, de négociation marchande, c'est-à-dire horizontale ?

Ce que les architectes contemporains ont ignoré, c'est que le religieux ne s'exprime pas dans l'horizontal pur et encore moins dans les angles aigus ; une église offre des variations de lignes autour du cercle comme représentation de la plénitude. Or l'église, qu'elle soit d'inspiration romane ou gothique, s'appuie sur la rondeur et le galbe des courbes pour offrir un univers de paix et de réconciliation. L'angle aigu, par nature agressif, que je vois utilisé exclusivement en telle nouvelle construction monastique, ne tardera pas à devenir insupportable à celles qui contempleront en ces lieux plusieurs heures par jour. Il y a là un déficit anthropologique qui m'étonne. « On ne construit pas une cathédrale comme un pavillon de banlieue », ai-je entendu Kijno me rétorquer à propos de la cathédrale de Lille. En ce sens, il avait raison.

En effet, l'église au coeur de la ville ne peut parler que par sa différence, son caractère non-fonctionnel, pour signifier que l'ailleurs de la foi libère de l'horizontalité des conflits de production ou d'exploitation.

L'église est le lieu de parole personnelle où l'on entre gratuitement pour retrouver cette verticalité où se déploie la quête de valorisation d'une existence. Il me semble que dans les directives récentes sur l'eucharistie, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a eu raison, non seulement théologiquement mais aussi anthropologiquement, de souligner que le sens de l'eucharistie ne s'épuisait pas dans la seule convivialité mais qu'il consistait dans l'évocation du mystère de la rédemption, du sacrifice du Christ donnant sa vie en oblation pour le pardon des péchés de l'humanité.

 

Cathédrale Notre-Dame de la Treille, Lille ©SNPLS 

Car il devient alors clair que la finalité de l'église n'est pas seulement d'être un lieu-carrefour des relations humaines, mais d'être d'abord un lieu-source par son existence physique même, pour l'évocation de l'ailleurs, du négociable et du fonctionnel. C’est ce qui est souvent sous-jacent dans le conflit culturel entre des clercs qui évaluent la nécessité de maintenir une église selon les chiffres de pratique régulière et une majorité d'habitants qui y voient un signe normal de leur insertion dans une société urbaine. Et ce n'est pas la moindre frustration pour les ruraux devenus urbains que d'être privés d'un clocher, signe de leur mémoire collective, sans que pour autant cela soit l'expression d'une adhésion explicite à l'enseignement des béatitudes.

La forte mobilité urbaine actuelle, les déplacements de population du centre-ville à la périphérie, ou la prolétarisation radicale de certains quartiers – tandis que d'autres par les lotissements deviennent des « villages- réserves » pour les classes moyennes – soulignent l’importance de penser l'église comme présence sociale avant de la « réduire » aux seules nécessités de l'utilisation pour des célébrations présidées par le clergé.

Nous sommes là devant des liens sociaux qu'il nous faut respecter avant toute décision, en particulier celles de regroupements favorisant les populations de retraités des classes moyennes qui forment souvent la majorité des pratiquants urbains. Mais l'église source et mémoire, avant d'être un espace de convivialité et de rencontre, doit être le carrefour d'attentes morales, spirituelles et liturgiques diversifiées.

Là comme ailleurs nous peinons à penserle pluralisme. Dans la population française, par exemple, où la pratique eucharistique régulière ne concerne pas 60 % de nos contemporains, la fonction culturelle et sociale de l'église se doit d'être réfléchie comme le service d'une image de la vie marquée par la mémoire de Dieu, et de l'Évangile.

Ainsi nous voyons combien la religion des catégories populaires perçoit l'église comme un espace-refuge pour exprimer les tensions et les deuils ; il suffit de consulter les cahiers d'intentions dans les lieux de pèlerinage ou près des saints de dévotion locale. Par souci apostolique d'être présents aux drames et aux questions de la société, les chrétiens ont cherché à s'adapter à la société en copiant ses normes, y compris dans l'architecture.

Or, à l'encontre, nous sommes aujourd'hui dans une situation culturelle où la quête première devient celle de l'ailleurs, de la verticalité du mystère et de la réconciliation par le « haut », hors des combats et conflits des militances des « trente glorieuses ». Questions théologiques et pastorales certes, mais aussi problème artistique et architectural pour dire l'ailleurs avec vérité et beauté dans le respect de la pluralité.

+ Mgr Gérard Defois,

Archevêque - évêque émérite de Lille 

 

Article issu de la revue "Chroniques d'art sacré", Eglises dans la ville, numéro 83, Paris, 2005

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