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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Design et symbolique

Publié le : 12 Juin 2009
Toutes les religions monothéistes s'organisent autour d'un livre, d'un dogme, et d'un corpus visuel, soit qu'elles le développent et le codifient en véritable manuel d'image de marque, comme la religion chrétienne, et tout particulièrement la religion catholique, soit au contraire qu'elles n'autorisent pas la représentation de Dieu et vouent l'environnement sacré à l'abstraction (architecture, motifs décoratifs), comme la religion musulmane, ou à l'usage d'objets quotidiens utilisés symboliquement, comme la religion juive à travers les châles rituels, par exemple, définissant ce que l'on pourrait appeler une «Kashrout du textile ».

La symbolique appliquée au textile est également très présente dans l’Hindouisme – le rouet figure sur le drapeau national de l’Inde – et le bouddhisme, avec les teintures utilisant les pigments safranés. Ce corpus visuel constitue la marque de reconnaissance et développe le sentiment d’appartenance1.

On peut dire que design et symbolique ont toujours cheminé de pair dans l’histoire de l’humanité.

Eminemment pictographique et facile à dessiner dans le sable ou sur la pierre, le poisson, signe de reconnaissance des premiers chrétiens, est la transcription graphique du mot grec Ichthus. Chaque lettre du mot (Iesos Christos Theou Uious Sauter) forme la phrase : « Jésus Christ fils de Dieu, Sauveur ». A ce signe graphique de reconnaissance se superpose donc un signifié verbal, un « slogan » dirait-on aujourd’hui. Plus tard, au poisson des temps de répression se substituera la représentation du Christ sur la croix, avec la variante plus symbolique encore de la croix seule, signe graphique à ce point ancré dans la mémoire collective qu’on ne peut lui associer d’autre signifié que la mort, raison pour laquelle il est souvent accolé au nom d’une personne décédée. La croix de saint André, dont la forme symétrique est moins originale, ne fonctionne pas avec la même efficacité. Pour toutes ces raisons, on peut dire que design et symbolique ont toujours cheminé de pair dans l’histoire de l’humanité.

Stèle sépulcrale Licinia Amias - Marbre, près de la nécropole vaticane, Rome

« La façon dont la plupart des religions ont choisi de se représenter depuis des milliers d’années, démontre une conscience claire des techniques de recherche d’identité d’entreprise, bien avant que celles-ci ne soient consciemment formulées. Toute religion, tout culte qui ont perduré ont créé un symbole aisément reconnaissable, un style architectural, un uniforme pour ses prêtres, et les moyens nécessaires pour que cette « image de marque » soit déclinée dans tous ses secteurs d’activité. On peut ainsi dire que la croix est l’un des logos les plus puissants de tous les temps »2.

L’architecture et la décoration intérieure des bâtiments voués au culte, les vêtements et les objets propres à sa célébration, très développés dans la religion catholique, ainsi que les oeuvres d’art, les vitraux, les enluminures des manuscrits, et les sculptures, ont été pendant des siècles les seules expressions artistiques accessibles, et la seule occasion pour le peuple d’être mis devant des oeuvres de création, non utilitaires. Les artisans d’art et les orfèvres exprimaient à la fois leur savoir-faire et leur spiritualité, rendant grâce à travers les objets qu’ils produisaient, tel Benvenuto Cellini qui initia un véritable code de l’orfèvrerie liturgique. On peut rappeler à ce sujet la disparition imposée des peintures et sculptures des églises protestantes à partir du XVe siècle en Europe après la Réforme : c’est ainsi qu’en Angleterre, alors que les classes dirigeantes continuent d’avoir accès aux oeuvres d'art, notamment à travers le portrait et le paysage, le peuple est privé des seuls modèles picturaux auxquels il avait accès, désormais absents des églises austères.

Il serait intéressant d’étudier l’incidence qu’ont eu ces développements séparés sur l’évolution des sociétés  : d’une part, l’apogée du Baroque dans l’Europe catholique du Sud, d’autre part le développement de sociétés protestantes d’Europe du Nord, d’où l’image est bannie, mais où le chant collectif joue un rôle de cohésion sociale et spirituelle majeur. Jusqu’à être à l’origine de la création d’un genre musical dont s’inspirera le jazz, le Gospel, encore appelé Negro spiritual, des esclaves noirs d’Amérique du Nord. Mais cela est un autre sujet…

La séparation depuis 1905, en France, de la sphère religieuse et de la sphère civile, en introduisant la notion de laïcité, a pendant longtemps écarté les artistes, mais aussi les designers, du domaine religieux, et conféré aux églises une image traditionnelle, voire rétrograde, sur la question de la représentation visuelle.

La seconde guerre mondiale a précipité la nécessaire mutation de l’architecture religieuse en Europe. La reconstruction des bâtiments publics et des infrastructures détruits par la guerre a entraîné une prise de conscience de la modernité et affirmé un désir de rupture formelle. Des architectes comme Auguste Perret ou comme Le Corbusier ont été appelés dès 1948 par les ministres de la reconstruction, Raoul Dautry puis Eugène Claudius-Petit, grand ami de Le Corbusier. Plus tard, l’urbanisation massive des « trente glorieuses », la création des villes nouvelles et des grandes concentrations urbaines et péri-urbaines, ont permis aux architectes de bâtir de nouveaux lieux de culte et de donner à l’église catholique une image de modernité. On peut rappeler l’exemple extrême de Hans-Walter Müller édifiant à Montigny-lès-Cormeilles, dans les années soixante, une église gonflable de deux cents places, pesant trente-neuf kilos. Et en 2003, celui de Michael Gill qui propose une église gonflable de soixante places pour 33 500 e.3

La symbolique des objets

« La fonction est indispensable à tout objet, même le plus apparemment futile. Mais il faut bien comprendre que, parfois, les objets n’ont pas la fonction que l’on croit. Par exemple, savoir lire que l’automobile transporte des symboles mais pas les personnes. Mon presse-citron n’est pas fait pour presser des citrons, mais pour amorcer une conversation. »4

Les objets créés par l’homme ne sont jamais réductibles à leur seule fonction, fût-elle évidente et primordiale. Ils acquièrent, y compris ceux qui sont issus de la production industrielle, une singularité qui les attache à leur créateur, à leur possesseur, à leur usager. Ainsi, mon téléphone mobile ne vieillira pas comme celui de mon voisin, même s’ils sont de même marque et de même modèle : la relation personnelle que j’entretiens avec lui, la façon dont je m’en sers, la nature de ma transpiration, le mode de transport que je lui inflige (dans la poche, au fond du sac), les souvenirs qu’il m’évoque (peur de l’avoir perdu, bonne ou mauvaise nouvelle que j’associe à lui), en font un objet différent, unique : mon téléphone. Il en va de même pour l’automobile, et, à des degrés divers, pour tous les objets qui nous entourent.

Le poids de la symbolique qu’il porte en fait un projet difficile à gérer pour un artiste ou un designer, confrontés à un type de « client » très particulier, le clergé, et à un type de «commande » inhabituel, l’objet liturgique.

Marcel Proust a déjà évoqué la question avec la célèbre madeleine trempée dans le thé. Tout cela est une histoire aussi vieille que celle des premiers outils créés par l’homme. Et on voit bien que la production industrielle n’a pas changé cet ordre des choses, quelles qu’aient été les craintes, ou les espérances, soulevées dès le XIXe siècle à ce sujet. Notamment les prises de position extrêmes sur le décoratif prises par Adolf Loos : « L’homme de notre temps qui éprouve le besoin de barbouiller les murs est un criminel ou un dégénéré. » (Ornement et crime, 1908). L’objet religieux a toutefois un statut à part dans la symbolique des objets, en ce qu’il est symbole avant d ’être objet ; sa fonction s’efface derrière sa représentation. Il n’a pas de valeur « commerciale », sauf lorsqu’il prend avec le temps une valeur patrimoniale ou muséale, et qu’il entre alors dans l’Histoire. Le poids de la symbolique qu’il porte en fait un projet difficile à gérer pour un artiste ou un designer, confrontés à un type de « client » très particulier, le clergé, et à un type de «commande » inhabituel, l’objet liturgique.

Chapelle du Carmel de Lisieux (14), Pierre Buraglio, 2002

Comment en effet concilier une demande « usagiste », puisque, après tout (ou avant tout) l’objet liturgique est un objet fonctionnel, un objet d’usage, avec une recherche de sens à forte charge symbolique ? Et que dire de la destinée de ces oeuvres, que leurs utilisateurs s’approprient, souvent au détriment de leur intégrité d’origine ? L’usure, le détournement, voire la dégradation qui, pour un designer, constituent les avatars prévisibles d’un objet au cours de sa durée de vie, peuvent être considérés par un artiste comme une atteinte à l’intégrité de son oeuvre. Il y a quelques années, Jean Dubuffet attaqua Renault en justice pour destruction d’une oeuvre réalisée pour la firme. A l’inverse, tout designer, même le plus médiatique, s’attend à voir un jour les objets qu’il crée finir au dépotoir. « Le destin de l’oeuvre d’art, dit Ottavio Paz, est l’éternité frigide du musée ; le destin de l’objet industriel est le dépotoir. » Il est vrai que la « starisation » récente des designers, en leur conférant le statut d’artiste, ouvre la porte des musées à leurs produits.

Donner du sens, coller à la stratégie de l’entreprise, à son histoire, à son contexte historique et social. Mettre l’objet avant tout. Dans sa pérennité comme dans son obsolescence. Même si leur intérêt pour l’objet religieux est relativement récent, les designers qui se sont lancés dans l’aventure au cours des dix dernières années en ont compris très vite les enjeux uniques. Il a fallu cinquante ans pour que le design, tout entier tourné vers le progrès, la science, la technique et, cela va sans dire, vers le matérialisme, s'ouvre à une approche sensible, et à une dimension plus spirituelle. Il semble qu’il ait encore beaucoup de choses à découvrir et à apporter dans le domaine de l’art sacré.

Françoise Jollant

Bibliographie
Dictionnaire international des Arts appliqués et du design sous la direction d'Arlette Barré-Despond, éditions du Regard, Paris 1996.
Les bons génies de la vie domestique, Catalogue de l'exposition présentée au Centre Pompidou, 11 octobre 2000-22 janvier 2001, éditions du Centre Pompidou, Paris 2000.

(1) La peur des représentations, Jack Goody, la Découverte, éd. fr. Paris 2003.
(2) Design and identity, Louisiana exhibition catalogue, Copenhagen, april 1997.
(3) Le Point, n°1604, 13.06.2003, p. 28.
(4) Philippe Starck, L’OEil, septembre 1997.
(5) Adolf Loos : Paroles dans le vide, éditions Ivréa, Paris 1994.

Article extrait des Chroniques d'art sacré, numéro 75, 2003, © SNPLS

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