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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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[Décryptage] Admirable miroir [1/2]

Publié le : 3 Octobre 2018
Comment l’image d’un homme marchant sur un chemin peut-elle faire couler autant d’encre que celle portée par le tableau de Jérôme Bosch parfois appelé « Le Fils Prodigue » ? Dans sa simplicité cette œuvre du « peintre des diableries » recèle bien des énigmes qu’il est toujours plaisant de tenter de décrypter... Ce que nous ferons en deux épisodes. Le premier nous convie à regarder et noter les détails de cette œuvre, sans arrière-pensée et en évitant autant que possible d’interpréter. Le second permettra d’avancer de prudentes hypothèses de lecture. Mais c’est un jeu sans fin, car dans ce miroir de la vie que nous tend le peintre, c’est bien nous qui nous regardons !

Fig. 1 - Jérôme Bosch, Le Vagabond, dit aussi le Fils prodigue - vers 1500-1510, Rotterdam, © Musée Boijmans Van Beuningen.

Jheronimus van Aken, dont le pseudonyme Jérôme Bosch vient de ‘s-Hertogenbosch (Bois-le-Duc) la ville où il est né vers 1450 et mort en 1516, a peint ce tableau entre 1500 et 1510 (Fig. 1). Il fourmille de détails que l’on a plaisir à découvrir. Pour savoir ce que cette œuvre signifie, surtout ne pas se précipiter sur la légende et le titre, donnés par le Musée Boijmans van Beuningen à Rotterdam, où il est conservé. Dans un premier temps, il suffit de regarder.

La scène s’inscrit dans un cercle. Sur les images en haute définition offertes sur internet par le BRCP*, nous voyons que ce cercle a été coupé en deux par son milieu et que ces deux parties ont été recollées ensemble (le dessin n’est pas en continuité, il manque 0,5 cm le long de cette découpe).

Au centre nous voyons un homme qui marche. Il va de la gauche vers la droite, dans le sens des écritures latines, sur un chemin fermé par une barrière. Cet homme va de l’avant mais regarde en arrière. Il est coiffé d’un chaperon mais porte un chapeau à la main gauche. Dans sa main droite il tient un bâton, vers lequel un chien menaçant est courbé. Les deux semblent se retourner l’un vers l’autre sans se regarder. L’homme est encadré par deux verticales, celle de la maison et celle d’un arbre à l’aplomb de la barrière.

Fig 2 - détail

L’horizon est tracé haut, laissant à la partie terrestre les deux-tiers de la surface de cette œuvre définis en strates horizontales, alternativement claires et foncées, comme en un gâteau à couches. La partie gauche du tableau est presque entièrement occupée par une maison délabrée (Fig 2). Elle abrite un couple dans l’encadrement de sa porte, et une femme regarde, depuis une fenêtre, l’homme qui marche. Dans l’ombre, un autre homme urine. La forme en équerre du bord du toit le long du pignon, est reprise par le sommet de la barrière - à l’aplomb du chapeau - qui barre le chemin de l’homme à droite. Des animaux peuplent l’espace : une vache, aux cornes divergentes, est couchée derrière la barrière. On distingue divers oiseaux : des pies en cage ou en liberté, un coq sur un tertre, une chouette dans les frondaisons. Un chien et des cochons viennent compléter ce décor rural.

Un parcours

Des formes se répondent et invitent l’œil à un parcours. Le bâton que tient l’homme, trace une diagonale qui se poursuit par la main tenant le chapeau ; une très longue lance est posée sur le pignon de la maison, reprenant la diagonale de la barrière. L’œil ne peut que suivre le zig-zag formé par ces lignes droites. Le chien est à l’intersection de ces deux diagonales et l’œil va de la maison à la barrière.

Malgré l’âpreté de certains détails : la jambe bandée, le pantalon troué, la roue - instrument de supplice que l’on distingue à l’aplomb des cornes de la vache - le calme, voire la sérénité dominent cette œuvre. La lumière est douce et les couleurs forment un camaïeu. L’ocre-rosé du fond de préparation - sur lequel le dessin sous-jacent est bien visible par transparence accrue** - unifie des tons délicats allant du brun au gris bleuté. Quelques taches de blanc l’animent. Ce sont celles du bandage, de la chemise, de la cuillère attachée à la hotte, des cochons, des coiffes des femmes, d’une culotte pendant à la fenêtre et du cygne informant l’enseigne de l’étrange maison ruinée.

Un triptyque démembré et reconstitué

Les études scientifiques ont montré qu’un même arbre a servi à réaliser les planches sur lesquelles quatre œuvres ont été peintes par Jérôme Bosch et son atelier. Les deux panneaux de l’homme qui marche - qui constituaient les faces extérieures d’un triptyque- ont été sciés dans leur épaisseur et l’envers du panneau de gauche a été découpé (Fig. 3).

Fig 3 - Schémas de reconstitution des volets du triptyque © S. Bethmont

Les volets de ce triptyque ont ainsi été transformés en quatre petits panneaux (1, 2 3, 4 sur le dessin), à la fin du XVIe siècle. Les scènes de genre étant alors prisées des collectionneurs. Ils ont été dispersés. Outre le tableau de Rotterdam (1), on trouve La Nef des fous (2) à Paris, (Musée du Louvre), La Gourmandise et la Luxure (3) à New Haven, (Yale University Art Gallery) et La Mort et l'avare (4) à Washington, (National Gallery of Art).

Un triptyque est par essence la forme d’un tableau d’autel. Aucune allusion à la Bible ou à la vie d’un saint ne semble évidente à la lecture de ces panneaux. Seul un crucifix (4), s’encadrant au sein d’une minuscule fenêtre, détail qui donnera peut-être une clé à cette œuvre, oriente l’esprit vers le divin. Alors, que représentait le panneau central, qui se dévoilait quand, telle la noix de la chanson de Charles Trenet, les volets étaient ouverts ? Il a disparu…


A suivre…

Sylvie Bethmont,
enseignante à l’Ecole cathédrale, Collège des Bernardins, Paris.

 

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* A l’occasion du 500e anniversaire de la mort du peintre, en 2016, de nombreuses études critiques et scientifiques ont été menées. Elles sont rassemblées dans le catalogue de Matthijs Ilsink et collab. (BRCP), Jérôme Bosch, peintre et dessinateur. Catalogue raisonné, Arles, Actes Sud, 2016. Des images en haute définition sont disponibles sur le site du Bosch Conservation and Research Project.

** Transparence accrue : les couches de peintures à l’huile deviennent transparentes avec le temps et laissent voir le dessin sous-jacent. Dans le cas de ce tableau de nombreux repentirs et le traitement des ombres en hachures sont bien visibles.

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