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Ces images qui témoignent du message chrétien, l'exemple de l'Évangéliaire d'Egbert

Publié le : 26 Mars 2010
Un colloque franco-allemand-luxembourgeois “Des images pour aujourd'hui ? L'Évangéliaire d'Egbert » a eu lieu à l'Académie catholique de Trèves (Allemagne) en avril 2010. En s’appuyant sur l'Évangéliaire d’Egbert, le Père Louis Ridez, un des organisateurs du colloque et chargé de mission en iconographie à Pax Christi France et dans les diocèses de Lille et de Trèves, rappelle le rôle de l'image dans la diffusion du message chrétien.
D’où est venue l’idée du colloque ?

L’étude de l’image connaît aujourd’hui un développement considérable. Et particulièrement dans un domaine inattendu : celui des images médiévales. De manière toute aussi étonnante, cette recherche se fait dans les instances universitaires. Le temps est passé, où, Régine Pernoud devait défendre la valeur esthétique du Moyen-âge, aujourd’hui le Moyen-âge est « in », pourrait-on dire.

Pourriez-vous donner un exemple de cette recherche ?

Je citerai seulement un livre récent qui me paraît stimulant : L’iconographie médiévale, de Jérôme Baschet, dans folio histoire. Il écrit dans l’Avant-propos, dans la seule perspective des sciences humaines: « La richesse signifiante des images médiévales réclame un effort important de renouvellement méthodologique » (page 20). L’enjeu est immense : le terme médiéval imago « engage la définition de l’humain et du divin ; il implique aussi l’histoire de leur rapport, depuis son origine jusqu’à sa fin, en passant par cette charnière qu’est l’Incarnation et qui, pour l’humanité, rouvre d’un même coup le chemin d’un rapport d’image avec Dieu et la possibilité d’un chemin vers Dieu par l’image » (p. 18).

Ces recherches sont-elles accueillies par les chrétiens ?

Oui, il y a actuellement une recherche foisonnante, dans des institutions et des revues, qui est prometteuse. Les enjeux sont exprimés avec vigueur par François Boespflug, dans son livre incontournable Dieu et ses images : « La question de l’image de Dieu paraissait inactuelle il y a peu. Un luxe inutile, auquel on serait bien fou de consacrer du jus de cervelle. Mais il se pourrait que certaines affaires, non des moindres, nous pressent d’y revenir, ne serait-ce que par amour de la paix civile, sinon de la théologie et du dialogue interreligieux. » (pp. 15 et 192)

 
Egbert, né en 950, archevêque en 977, à l’âge de 27 ans, mort en 993, image de dédicace. ©Bibliothèque municipale de Trèves et Facsimilé Luzernes.
Dans un décor apparemment harmonieux, constitué de violences domptés, Egbert représente la figure des évêques, soutiens de l’empire.
Comment le colloque d’avril se situe par rapport à ces recherches ?

Les intervenants du colloque intègrent ces recherches et bien d’autres, car le colloque se veut interdisciplinaire. Il apporte les éclairages non seulement de l’histoire de l’art, de la théologie, de la patristique, de la psychanalyse, de la musique, de la géométrie, mais aussi de la pratique, jusqu’à celle d’une plateforme internet.

Ne courrez-vous pas le risque de confusion ?

Je ne crois pas, car les intervenants ont une référence commune : l’œuvre forte que constitue l’Évangéliaire d’Egbert. Bien plus, la démarche se fait dans une perspective nettement pastorale et didactique. Le but recherché, c’est de voir les enjeux et les conditions d’une utilisation réfléchie de l’image dans les différents domaines de la vie chrétienne et de la vie culturelle: non seulement la catéchèse et l’enseignement religieux, mais aussi l’enseignement du fait religieux et la diffusion médiatique. C’est non seulement la catéchèse et l’enseignement, au sens strict, c’est encore : la méditation et la prédication ; les occasions de rencontres pastorales, comme la préparation aux sacrements, la visite aux malades, les célébrations de la Parole, c’est encore : les rencontres culturelles, comme les conférences, la visite des églises et des musées. Un public privilégié serait aussi les équipes bibliques et liturgiques.

Pourquoi mettre en vedette dans ce colloque l’Évangéliaire d’Egbert ?

C’est le résultat d’une expérience d’une trentaine d’années dans la pratique des œuvres d’art au service de l’intelligence du mystère chrétien. Elle fut menée à la fois dans des cours de pédagogie religieuse et dans l’échange de groupes les plus divers. Le Service Bible, Art et Paix de Pax Christi en a été l’institution porteuse. Des expériences ont été faites tant en Allemagne qu’en France. Mais c’est surtout en raison des qualités exceptionnelles de cette œuvre de 60 enluminures (Voir encadré : Codex Egberti) que l’Évangéliaire d’Egbert est retenu pour répondre, à titre de référence, aux questions posées par la pratique de l’image.

Quel lien établissez-vous entre la paix et l’art ?

Un lien essentiel. Ce fut l’avantage d’intégrer la recherche de l’Évangéliaire d’Egbert à l’intérieur du mouvement Pax Christi. Car sa conception de la paix, en fait celle de l’Église, dont il est le témoin, c’est la richesse du shalom biblique. Le shalom, c’est la paix dans toutes les dimensions de la vie, la relation à soi, aux autres, à la création, éclairées par la relation au Dieu Un vivant la communion de trois personnes. Le shalom c’est une foi et une espérance qui s’actualisent sans cesse dans l’attention aux signes des temps.

 L’Ascension, ©Bibliothèque municipale de Trèves et Facsimilé Luzernes. remarquez l’empoignement du Christ par le Père et l’auréole à plusieurs dimensions – devient une révélation trinitaire et une assomption de toute l’humanité derrière Pierre et Marie.
Quelles furent les conséquences pratiques d’une telle conception de la paix ?

Je me contenterai ici encore de ne donner qu’un exemple de ces interactions entre l’art et une spiritualité de la paix, attentive aux signes des temps. Durant les années 80 s’est développée une nouvelle sensibilité dans la recherche de la paix. Le départ a été, au début des années 80, le Rassemblement œcuménique de Vancouver qui a aboutit à un véritable dynamisme autour de « Justice, Paix, Sauvegarde de la création ». Le lien entre paix et sauvegarde, ou mieux, régence de la création, est évident aujourd’hui. Il ne l’était pas alors. Même à l’intérieur du mouvement Pax Christi certains se refusaient à le reconnaître.

C’est ici que des œuvres d’art en interaction avec la pensée chrétienne ont contribué à ouvrir les esprits. En particulier les représentations de Noé, présentes, par exemple, dans la longue trajectoire de l’œuvre biblique de Marc Chagall, comme aussi dans les sculptures sur bois d’un artiste contemporain, Thomas Zacharias ont permis des échanges féconds. Ces œuvres amenaient à comprendre les liens entre la sensibilité contemporaine et leur connivence profonde avec les expériences fondamentales des hommes, dont la Bible est le témoin par excellence. De plus, les documents qui soutenaient la démarche proposaient de lui donner son accomplissement dans une célébration liturgique, qui récapitule dans la contemplation le cheminement des participants.

Quelle méthode peut favoriser une telle démarche ?

Le présupposé méthodologique, c’est que les artistes ont le charisme de savoir lire les symboles universels contenus dans les diverses traditions culturelles et de savoir les transposer pour exprimer le message chrétien. Les théologiens peuvent rejoindre cette démarche, à condition d’entrer eux-mêmes dans une démarche symbolique, ou pour le dire comme Jérôme Baschet, à condition de « penser en images ». On pourrait dire autrement qu’il s’agit de mettre en interaction les expériences des hommes d’aujourd’hui et celles d’hier, dans une attitude tout à la fois critique et constructive. Le dialogue de la théologie et de l’art favorise ces interactions.

Serait-il possible d’illustrer ces propos méthodologiques ?

Oui, prenons l’image choisie pour accompagner le programme. C’est une scène que l’on désigne habituellement du nom de « la Tempête apaisée ». C’est dangereux de mettre à priori un titre sur une œuvre. On regarde l’étiquette et on ne s’intéresse plus au contenu.

 
La tempête apaisée, ©Bibliothèque municipale de Trèves et Facsimilé Luzernes.

J’ai utilisé cette image de la tempête, comme bien d’autres, dans différences prédications. La distribution de l’image prenait quelques secondes. Certains, surtout les enfants, regardaient attentivement l’image. D’autres, après un regard furtif, retournaient l’image, lisaient la légende « Tempête apaisée ». Alors ça leur suffisait et ils mettaient carrément l’image dans leur poche. Pendant la prédication où je me référais sans cesse à l’image, je voyais alors réapparaître les images.

Vous osiez vous adresser tout à la fois à des enfants et à des adultes ?

Oui, c’est le génie des artistes, particulièrement des peintres de permettre d’instaurer un dialogue intergénérationnel. Et c’est même un avantage de le faire. Bien des fois, je m’adressais directement aux enfants. C’était le plus sûr moyen d’avoir l’audience des plus grands et des adultes. La difficulté, c’est évidemment que la lecture de l’image soit sous-tendue par une question qui introduise un intérêt, entretienne la curiosité, suscite un dynamisme de recherche.

Qu’entendez-vous par « dynamisme de recherche » ?

Par rapport à cette image de la tempête apaisée, il me revient à l’esprit une expérience qui m’a marqué. J’arrivais comme nouveau curé dans une paroisse. Le premier coup de téléphone, ce fut « Monsieur le curé, pouvez-vous venir nous voir ? ». Je devinais une détresse. C’était le cas : un couple, tous deux venaient de prendre leur retraite et d’apprendre que l’époux était atteint d’un cancer avancé. Ils étaient « dans la tempête ». Cela me donnait l’idée, après une conversation un peu laborieuse, de répondre à leur demande : je viendrai le lendemain bénir la maison et surtout le jardin (« remplie de taupes, que n’avaient pas les voisins ! » se lamentaient-ils, de manière révélatrice). Le lendemain, je lisais avec eux le récit de la tempête apaisée. Il ne fut pas besoin de beaucoup d’explications, ils avaient bien saisi que c’étaient eux qui étaient dans la tempête et que l’Église pouvait leur signifier qu’ils n’étaient pas abandonnés. Certes, à cette phase de leur cheminement, ils attachaient plus d’importance à la bénédiction de la maison (et du jardin avec ses taupes !) qu’à l’invitation à appeler personnellement le Christ.

L’Évangéliaire d’Egbert est une référence privilégiée pour répondre aux questions comprimée dans le titre du colloque : De quelles images avons-nous besoin aujourd’hui, pour une pratique de non spécialistes qui se proposent de faire connaître le message chrétien ? Et ceci, tant au plan culturel qu’au plan proprement pastoral.

Mais l’image a finalement rempli sa mission. Quelque temps plus tard, je repassais voir le couple. Le mari était alité et me dit aussitôt : « Monsieur le curé, regardez ! ». Il avait installé la carte reproduisant l’image face à lui, à hauteur de vue : « Je la regarde. Cela me donne confiance. »
Le dénouement de cette histoire, ce fut les funérailles. Je prenais l’image pour la prédication : « Frères et sœurs, c’est Yves qui vous transmet cette image. Il a vécu ses derniers jours avec elle. » Ce fut une prédication accueillie avec une curiosité attentive ! Il n’est resté que très peu d’images sur les chaises.

Oui, je m’image qu’une telle situation à créé un climat propice à l’écoute. Mais qu’elle a été le contenu de votre prédication ?

L’enluminure de la Tempête apaisée de l’Évangéliaire d’Egbert est l’une de ces images propices pour une démarche de type pastoral ou de type didactique, car elle possède la possibilité d’une lecture à plusieurs niveaux d’interprétation. On peut utiliser sa dimension narrative, pour la mettre en relation avec les différents récits de l’évangile sur l’épisode. C’est d’ailleurs le sous-bassement de la démarche. Mais l’image n’est pas une illustration, elle est déjà interprétation, création de sens, par les connexions symboliques qui lui sont inhérentes. L’une des plus fortes, c’est de représenter, « en simultané », Jésus endormi dans la barque ballotée et Jésus relevé, dans la même barque, affronté aux deux têtes de monstres qui soufflent la tempête dans le ciel. *

Cette composition plastique est porteuse d’une question qui taraude de tous temps la conscience des croyants devant le déchaînement du mal : « Dieu est-il insensible au malheur des hommes ? » ou, pour le dire avec les psaumes : « Dieu dort-il ? ». Et l’image répond, par la seule force de sa composition : le croyant expérimente Dieu comme celui qui est tout à la fois passif et actif, ou, si nous considérons dans l’image le personnage de Pierre, comme celui qui n’agit pas pour l’homme sans le concours de l’homme.

L’image ouvre-t-elle à une lecture pascale du récit ?

Le choix qu’ont fait les enlumineurs pour situer l’image à l’intérieur du texte manifeste clairement leur interprétation pascale. Ils ont placé le Christ qui se redresse pour affronter les deux têtes de monstres juste au-dessous de « surgens », un des mots pour exprimer la résurrection. Le sommeil du Christ est alors celui de l’ensevelissement, celui de son apparente défaite face aux forces de violence qui se déchaînaient contre lui dans la passion et son « surgissement » celui de sa victoire sur les forces du mal. Correspondant au « surgens » au-dessus de l’image se trouve, directement sous l’image : « tranquilitas magna » : il se fit un grand calme. Les monstres sont réduits au silence.

Les enluminures de l’Évangéliaire d’Egbert sont-elles toutes aussi chargées d’interprétations symboliques ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la majorité des images ont tout à la fois cette simplicité apparemment naïve et cette profondeur que l’on peut appeler mystique. C’est cette alliance de simplicité et de profondeur qui fait l’originalité exceptionnelle de l’Évangéliaire d’Egbert, qui ouvre la grande période des « images ottoniennes », qui sont loin d’avoir été « exploitées ».

Voici qui promet un colloque intéressant ! Mais à quel public s’adresse-t-il ?

À toute personne intéressée par la découverte de l’image, tant au plan personnel, pour la méditation par exemple, que au plan de l’animation dans les groupes les plus divers, tant culturels que pastoraux. C’est la force des symboles, dans ce type particulier d’œuvres d’art, de pourvoir permettre une communication entre des personnes de niveaux théologiques et artistiques différents. Le colloque se veut interdisciplinaire, international, interculturel, « interpastoral ».

Se limite-t-il à l’Évangéliaire d’Egbert ?

Bien sûr que non, ne serait-ce que par la référence et la confrontation au célèbre Évangile d’or d’Echternach (Codex aureus epternacencis, Nuremberg). En fait, l’Évangéliaire d’Egbert est une référence privilégiée pour répondre aux questions comprimée dans le titre du colloque : De quelles images avons-nous besoin aujourd’hui, pour une pratique de non spécialistes qui se proposent de faire connaître le message chrétien ? Et ceci, tant au plan culturel qu’au plan proprement pastoral. Quels critères établir pour opérer une sélection dans le foisonnement merveilleux des chefs d’œuvres-pour ne pas dire dans la jungle des productions de deux mille ans d’histoire ?

Votre colloque devrait avoir des suites ?

Oui, d’une manière ou d’un autre. Des hypothèses ont déjà été émises, car le temps est mûr pour préciser une « praxis » de l’image, qui s’inspire du meilleur de ce qui se réfléchit et s’expérimente depuis quelque temps.

Pourriez-vous, pour conclure, préciser à quoi devrait conduire cette « praxis » de l’image ?

La « praxis de l’image », telle que je la conçois, conduit à ne pas séparer action et contemplation, à ne pas séparer morale et espérance chrétienne. Un mot de Saint Augustin sur le bonheur résumerait bien ce que je veux exprimer et souhaiter : « Là [dans cette praxis], nous nous reposons et nous voyons ; nous voyons et nous aimons ; nous aimons et nous louons. Voilà ce qui sera à la fin, sans fin » (Cité de Dieu, XXII, 30,5).
 

Illustration de l'article : Multiplication des pains (c) Bibliothèque municipale de Trèves et Facsimilé Luzernes

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