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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Jean-Marc Cerino - Artiste Plasticien

Publié le : 17 Juin 2010
« L'art, a un autre but que lui-même. Sa recherche est l'expression ou le symbole de sa perpétuelle recherche de l'Être." Georges Bernanos

En pénétrant dans la salle d’exposition toute blanche, on découvre une série de tableaux alignés, non pas accrochés au mur, mais posés sur une corniche à mi-hauteur. En passant devant les œuvres on ne distingue presque rien, on perçoit tout juste des silhouettes humaines quasiment invisibles. Si l’on veut voir ce qu’a dessiné l’artiste il faut prendre l’œuvre par le cadre, la lever à hauteur des yeux en direction de la lumière. Alors, apparaît le portrait en pied d’une femme ou d’un homme. Par ce procédé, Jean-Marc Cerino nous fait découvrir que si l’on veut voir la personne représentée, devant laquelle nous passions sans la distinguer, il faut « la prendre en main et la tenir à bout de bras ». Il nous invite à nous interroger sur notre posture face à l’homme.

 

Jean-Marc Cerino, Dépositions III, 2006 ©Philippe Hervouet
 

Jean-Marc Cerino, Déposition III, 2006 ©Philippe Hervouet


« Exister, c’est être perçu » : l’effacement de la personne.

La question de la visibilité de l’homme est au cœur de la recherche de Jean-Marc Cerino. Depuis de nombreuses années il peint de grands portraits sur toile, aux caractéristiques rigoureuses : chaque sujet est en pied sur toile tendue sur châssis, à l’échelle réelle, peint en couleurs puis recouvert d’une cinquantaine de couches de cire blanche. Par ces couches successives de cire, la peinture devient métaphore du corps. La cire est choisie pour son analogie avec l’épiderme ; comme la peau elle possède des qualités ambivalentes : grande résistance et extrême fragilité. Cette fusion du modèle avec le fond blanc de la toile, ce masquage du sujet, entrave la vision et ralentit la saisie du tableau : le spectateur est conduit à chercher une position face au portrait, posé à hauteur d’homme, il est placé les yeux dans les yeux avec ces figures. A lui de susciter l’apparition de l’autre qui lui fait face.

 

Jean-Marc Cerino, Dépositions I, 2005 ©Pierre Arnaud

 

Jean-Marc Cerino, Dépositions I, 2005 ©Pierre Arnaud

 

L’artiste croise deux questionnements : celui du type d’image à proposer dans un monde qui en est saturé, et qui a perdu le sens premier de l’image, et celui de la transmission plastique de ce qu’il nomme « le sentiment de perte » ressenti par des êtres. Ces deux questionnements ont eu pour conséquence dans son travail l’utilisation du blanc, du ton sur ton afin de proposer des images silencieuses, mais également pour faire partager au spectateur le sentiment de perte, le lui faire éprouver dans son propre corps. Et cela, en le plaçant lui-même en situation de perte : perte visuelle par une mise à l’épreuve de l’œil et de la perception même. Cette image qui résiste à l’immédiateté deviendrait l’image qui révèle, dévoile, fait advenir la présence de l’autre. Elle place le spectateur dans l’expérience même de la perception, dans l’acte de regarder.

 

Jean-Marc Cerino, Les Rêveurs, 2006-2008 © DR


Les Dépositions

Ce double questionnement a orienté le choix des sujets de représentation : mendiants, déportés, travailleurs émigrés, prisonniers, sans-papiers. Ces séries représentent l’homme qui se trouve dans un état de perte : celui de son statut social, de son identité, de sa liberté, de son territoire et de sa stature. Ils cessent d’exister au regard d’autrui, ils deviennent transparents. Jean-Marc Cerino donne à voir les quasi-invisibles, en cours d’effacement, les sans-voix à qui il veut donner la parole à travers des dépositions. Pour lui, « exister, c’est être perçu et percevoir ». Et, ceux que le peintre nomme les « invisibles » ont accepté de poser et se faire photographier afin qu’il les dessine et les peigne, et pour ensuite déposer une « adresse » aux autres – un fragment de leur histoire, de leur intimité, voire de leur misère : l’artiste leur (re)donne en quelque sorte un espace de présence et de parole, un droit de cité. La série décrite s’appelle Dépositions. En trois volets Jean-Marc Cerino présente trois groupes sociaux, des personnes en absence de logement, des détenus, des patients en centre psychothérapeutique.

 

Jean-Marc Cerino, Dépositions III, 2006 ©Philippe Hervouet

 

Jean-Marc Cerino, Dépositions III, 2006 ©Philippe Hervouet

 

Jean-Marc Cerino, Dépositions III, 2006 ©Philippe Hervouet

 

Son travail « n’est pas de l’ordre de la compassion, mais (il) souhaite rendre par la peinture une dignité aux êtres ». Cette notion de perte, à l’œuvre dans ses toiles a induit également une conscience du devoir de mémoire, se souvenir de ce qui est en train de se perdre. « Mon travail a toujours eu à voir avec la question de la marge, par la place que les spectateurs doivent rejoindre pour voir certains dessins (être de côté pour percevoir les dessins de la Shoah). Je m’intéresse à ceux que l’on pourrait appeler les invisibles. Il ne faut pas oublier que le regard aussi peut être touché d’amnésie. » Le rôle de l’artiste selon Jean-Marc Cerino est « d’aller voir dans les coins sombres, du côté de ce que l’époque refoule, et non pas rester sous la lumière ». Sans culpabilité, ni compassion, il nous fait prendre conscience de la présence de l’autre, de son effacement, de son risque de disparition.

 

Jean-Marc Cerino, Déposition III, 2006 ©Philippe Hervouet


Á des amis qui nous ont manqué

Pour éviter cette amnésie du regard, Jean-Marc Cerino fait œuvre de mémoire. A la fin des années 1990 constatant qu’un jour il ne restera plus de survivants des camps de concentration, qu’il n’y aura « plus personne pour dire avec des mots venus de la mémoire charnelle », il lit les récits des déportés, découvre leurs dessins, écoute leurs témoignages, et souhaite à son tour transmettre, tout en restant juste, sans trahir, humblement. Pour ce travail intitulé Á des amis qui nous ont manqué, Jean-Marc Cerino part de dessins tracés à la hâte par des prisonniers sur de petits morceaux de papier, mémoire directe. Il choisit de rester en retrait, de tracer à l’encre de chine blanche des figures frêles et uniques ; de les dépouiller de leur environnement en isolant chacune d’elles au milieu d’une grande feuille de papier Japon nacré. L’artiste utilise une encre blanche épaisse pour les couvertures en guise d’habits, et cette même encre très délayée pour rendre les corps décharnés à la limite de la visibilité. Ces empreintes fantomatiques sont des présences ineffaçables qui font corps avec le papier, comme des filigranes. Face à ces œuvres on ne voit que les vêtements de fortune ; pour distinguer les figures, les corps décharnés, il faut faire un pas de côté et regarder de biais.

 

Jean-Marc Cérino, Á des amis qui nous ont manqué © D.R

 

     

 

Jean-Marc Cérino, Á des amis qui nous ont manqué © D.R

 

Christine Blanchet et frère Marc Chauveau, o.p.
Juin 2010

Lire l'article sur les oeuvres de Jean-Marc Cerino intégrées dans des projets architecturaux

Illustration de la vignette : Jean-Marc Cérino, Dépositions I, 2005 ©Pierre Arnaud
 

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