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La cathédrale de Strasbourg d'hier à aujourd'hui

Publié le : 18 Novembre 2009
Par sa Présidente Madame Christiane Roederer, l'Académie des Sciences, Lettres et Arts d'Alsace m'a fait à la fois la vraie joie et le grand honneur de m'inviter à lui donner une conférence sur la cathédrale de Strasbourg, dans le cadre de sa séance académique de début d'année, le 31 janvier 2009.

Laissant ici de côté à la fois le rappel de l’histoire de la construction de l’édifice, par lequel j’avais commencé, et la présentation, sur laquelle j’avais terminé, des activités pastorales, liturgiques et culturelles, qui s’y déploient aujourd’hui, je reprends ici la partie centrale de mon exposé. Elle était consacrée, elle, à la vie de la cathédrale à travers les siècles, et à ce que révèle de cette vie l’utilisation préférentielle effectivement faite à chaque étape marquante d’une des parties constitutives de l’édifice : nef, chaire, chœur … Fonctionnant pour un temps donné comme un véritable "pôle" d’organisation de l’espace global, chacune de ces parties a en effet contribué à identifier –dans l'histoire de notre cathédrale "d'hier à aujourd'hui"– trois, et même finalement quatre, "périodes" assez caractérisées en elles-mêmes pour mériter d’être nettement distinguées les unes des autres : le Moyen-Âge, l’époque de la Réforme, la période classique et contemporaine, l’aujourd’hui.

© Diliff

1. Le Moyen-Âge et la nef


On sait qu’après la "première cathédrale", celle de Werner, commencée peu après l’an 1000 et dont nous connaissons fort peu de chose, la construction de l’édifice actuel fut lancée vers les années 1170-1180. Il fallut environ un siècle pour en arriver à la façade, dont la première pierre fut posée en 1277 par l’évêque alors en charge, Conrad de Lichtenberg. On sait aussi que la flèche fut achevée en 1439.

Déjà, il convient de se rappeler qu’à l’époque, la cathédrale est très loin de disposer, comme c’est le cas aujourd’hui, d’un seul autel pour une célébration eucharistique destinée à des fidèles eux-mêmes réunis en une seule assemblée … À vrai dire, l’idée même d’autel unique est étrangère à toute cette période. Au contraire, on multiplie les autels −on en dénombrera jusqu’à 64 dans l'édifice !−, partout où l’on peut trouver de la place. Loin de se concentrer sur le chœur, on se disperse ainsi quasiment sur tout le pourtour de la nef.
Cela dûment rappelé, on peut dire qu’à partir au moins du moment où l’essentiel de la construction est achevé, donc à partir du dernier quart du XIIIe siècle et pendant plus de deux siècles et demi du Moyen-Âge, c’est effectivement la nef qui constitue le pôle autour duquel s’organise l’essentiel de la vie de la cathédrale.

Car il faut bien se rendre compte d'autre part que, s’il est certes un lieu de culte, l’édifice est alors aussi, et comme tel, un véritable "lieu de vie", et même le lieu d’une vie assez animée !

Les marchands, qui s’étaient d’abord installés avec leurs boutiques entre les contreforts extérieurs du bâtiment, passent bientôt à l’intérieur, où certes ils gagnent en confort mais où, en même temps, ils introduisent tout leur bric-à-brac. Les avocats donnent des consultations ici et là sous les voûtes. Les collègues ou les copains se fixent des rendez-vous dans les bas-côtés. Les prostituées elles-mêmes viennent s’asseoir sur les marches des autels, d’où elles "reluquent" et hèlent le passant, à la recherche du possible client …

À la fin du Moyen-Âge, la situation se détériore de telle sorte que la ville, qui exerce à l’époque la véritable "autorité" dans les lieux et sur eux, se préoccupe de mettre bon ordre à tant de dérives. On craint que l’aspect de "péché collectif", qui paraît bien caractériser quand même tous ces débordements, finisse bel et bien par entraîner un châtiment collectif… Patronne de la ville, la bonne Vierge pourrait bien, après tout, finir par se lasser – puis se fâcher ! Et, puisqu’on prétend exercer l’autorité principale sur l’édifice et qu’on est d’une manière générale préoccupé de l’ordre moral, la moindre des choses n’est-elle pas qu'on le fasse respecter dans ce lieu sacré par excellence ? Du reste, le magistrat a les moyens de faire connaître en toute clarté ses volontés sur les lieux mêmes, puisqu’il ne manque pas d’utiliser le jubé pour promulguer à partir de lui l’ensemble de ses décisions concernant la population dont il a la charge, tout comme le tambour et crieur public le fait dans chaque village des alentours de la ville.

À côté cependant de cette "vie" de la cathédrale – ou plutôt "dans" la cathédrale et indépendamment toujours de la liturgie comme telle –, il faut faire état aussi, au Moyen-Âge toujours, d’un certain nombre de cérémonies et festivités à vrai dire peu adaptées à la sacralité du lieu, mais qu'on tolère parce qu’à leur manière elles témoignent malgré tout d’une certaine référence aux affaires de la religion.
On peut tout d’abord rappeler la « Grande procession de la Pentecôte », à laquelle sont invités à venir participer tous les villages qui ont fourni de la pierre pour la construction de la cathédrale. Mais il y a aussi la « Sainte Adèle », jour de la dédicace de la cathédrale : à cette occasion combien festive, on sert le vin en abondance, et la pieuse commémoration se voit copieusement arrosée. Et il y a encore, le 28 décembre, jour des Saints innocents, la « Fête des clergeons », qui élisent une parodie d’évêque dans les acclamations et les vociférations. Et puis, au bas de l’orgue, on lance toutes sortes de quolibets, on interpelle les passants en soulignant leurs travers. Et quand le sermon dure trop, un barbu intempestif, le Rohraffe, s'agite en dessous de l’instrument pour invectiver vertement le prédicateur.

Gravure ancienne© Alexandre Hilbert

Nous avons assurément aujourd’hui quelque peine à nous représenter cette ambiance bruyante sinon cacophonique (dont on retrouve cependant peut-être encore des traces dans certaines églises italiennes du Mezzogiorno). Elle exprimait néanmoins un certain rapport à la religion qui pouvait avoir aussi sa dimension positive. Rappeler aux clercs qu’ils ne sont pas seuls à avoir droit à la parole parce que l’Église c’est aussi le Peuple chrétien ; que Dieu et le Christ ont aussi – et même préférentiellement, s’il faut en croire l’Évangile – le souci des petits et des pauvres ; et que, de quelque manière, ces derniers doivent donc avoir aussi quelque droit à la parole : tout cela n’était pas rien, après tout, peut-être ? Cela ne rejoignait-il pas, du reste, ces sculptures et peintures où l’on voyait tels personnages mitrés, voire "tiarés", figurer au nombre des pensionnaires de l’enfer ?

À vrai dire, c’est le protestantisme qui décidera et surtout fera admettre que ce "lieu commun" qu’est certes la cathédrale est d’abord, pourtant, un endroit où l’on prie.

C’est ainsi que, lorsqu’ils prennent la main sur l’édifice, les représentants de la Réforme embauchent des policiers pour surveiller et contrôler les entrées. On régule alors les passages, on discipline le flux de ces promeneurs ou de ces gens affairés qui trouvent qu’il est plus facile de traverser la cathédrale que de la contourner, et qui donc n’en font plus qu’un lieu de circulation … dans lequel du reste ils ne manqueront pas de s’attarder pour bavarder longuement, si d’aventure ils y rencontrent quelque compère ou complice.

2. Le temps de la Réforme et la chaire

On ne peut cependant pas manquer d’enregistrer que le protestantisme eut, en réalité, à la cathédrale de Strasbourg, un grand "précurseur" : le fameux prédicateur qu’y fut Geiler de Kaysersberg ... Mais cette précision nous pousse d'elle-même à l’identification d’une deuxième période de l’histoire de la vie du monument. Elle le fait même d’autant plus et d’autant mieux, qu’elle nous indique clairement un deuxième pôle autour duquel va s’organiser et se structurer l’essentiel de l’activité qui s’y déploie : la chaire.

Pendant une bonne trentaine d’années en effet, Geiler fut, à la transition du XVe au XVIe siècles, un éminent prédicateur qui non seulement vilipenda fortement tous les dérèglements intervenus dans la vie de la cathédrale elle-même mais, bien plus généralement, ne cessa de vitupérer contre les dérèglements croissants de l’Église et de la société. Car sa volonté déclarée était d’appeler à une foi plus authentique, à une piété plus intérieure, à une pratique plus éclairée et plus vivante, et décapée de tous les dérapages dévotionnels toujours possiblement entachés de superstition.

Cela dit, il faut avoir bien en tête qu'alors, la cathédrale ne se présentait pas comme aujourd’hui. La barrière d’un imposant jubé interdisait non seulement l’entrée dans le chœur mais la vue sur lui depuis la nef, et donc la communication avec lui et avec tout ce qui pouvait s’y passer en matière de culte. Dans la nef elle-même, la foule des fidèles déambulait, déambulait, discutait, discutait, n’étant pas vraiment intéressée à ce qui pouvait se dérouler dans cet espace ravi à son regard (puisque totalement masqué par le jubé) qu'était le chœur … Qu’est-ce qui pouvait alors empêcher les bavardages incessants et les criailleries insupportables, sinon la parole d’un homme capable, par la seule force de son verbe –forme et contenu–, de mobiliser réellement l'attention, de s’attirer une vraie écoute ?

De 1478 à 1510, Geiler a été cet homme ; et c’est bien pourquoi, soucieuse comme on l’a dit du bon ordre des choses jusque dans l’édifice sacré, la ville elle-même estima devoir faire le nécessaire pour lui offrir un lieu de parole susceptible de favoriser son écoute par un auditoire bien difficile à captiver. Ainsi, à la demande du magistrat de Strasbourg, Hammer construisit-il la très belle chaire de pierre, chef-d’œuvre du gothique tardif que nous pouvons toujours admirer sur le côté gauche de la nef.

Geiler parle en allemand ; il emploie un langage adapté, imagé, proche du quotidien, et donc le peuple le comprend et comprend ce qu’il dit, tandis que, célébrés en latin et au-delà d’un jubé qui coupe totalement l’action liturgique de la nef, messes pontificales et offices cléricaux et canoniaux restent à distance des fidèles. Comme ils ne peuvent guère prêter attention à des cérémonies réservées au clergé, ils préfèrent souvent s’adresser aux nombreux saints et saintes que leur présentent les statues et les vitraux, ou prendre un bout de messe à l’un des nombreux autels qui ont fleuri sur quasiment tout le pourtour de la cathédrale.

Il convient cependant de faire remarquer que Geiler n’est pas comparable à des réformateurs comme Luther, Zwingli ou Calvin. Il n’a pas connu Luther, et nous n’avons nul moyen de savoir s’il aurait rejoint l’homme de Wittenberg dans le cas où il l'aurait rencontré. Il appelait seulement de tous ses vœux et de toute sa voix un ressaisissement général de la société et de l’Église, notamment de ces nombreux prêtres, clercs et moines −des centaines − qui environnaient la cathédrale et se répandaient par toute la ville. Le cinquième concile du Latran avait certes bien tenté quelque rappel à l’ordre, mais cela était resté sans grandes conséquences dans le diocèse. Il fallait une grande voix comme celle de Geiler pour que fût lancé, à temps et à contretemps si nécessaire, l’appel au réveil et à la conversion que rendait urgents la dégradation flagrante de la situation ecclésiale.

Encore n'y eut-il pas que Geiler. Dans son ombre, on peut évoquer au moins une autre figure importante, et de prédicateur aussi : celle du curé de la paroisse Saint-Laurent de la cathédrale, Matthieu Zell, qui, lui, devait d’ailleurs rallier assez rapidement le protestantisme. À vrai dire, leur rôle à tous les deux, et particulièrement l’évolution du second, nous éclairent bien sur la manière dont la Réforme s’est introduite puis répandue à Strasbourg. Elle a effectivement eu peu à voir avec l’installation d’une institution nouvelle, organisée de pied en cap et prétendant se substituer à l’Église jusque là croyante, vivante et célébrante. Frappés par le laisser-aller, les dérives, et finalement un délitement assez généralisé de la situation, des clercs, des prédicateurs appellent à un changement, à une conversion, à une transformation.

Au bout d’un moment, ils finissent par être touchés par les idées qui commencent à se répandre à partir des fortes invectives de Luther et de tout le courant de protestation qui se rattache plus ou moins à lui. Faut-il toujours demander le célibat, quand on le voit si mal respecté ? En tout cas, si l’on continue à le réclamer, il faudra bien se convertir pour qu’il soit effectivement observé ! Puisque le peuple est tenu à distance de ce qui pourtant le concerne, ne faut-il pas abolir les séparations si tranchées entre prêtres et laïcs ? En tout cas, si l’on prétend toujours offrir aux fidèles eux-mêmes l’accès aux mystères de la foi, il faudra bien trouver les moyens de les en instruire et, d’une manière ou de l’autre, de leur y ouvrir un accès effectif. D’où l’importance de la parole, de la prédication − donc, de la chaire !

3. La période classique et contemporaine, et le chœur


Mais précisément, si la chaire renvoie de quelque manière au jubé, ce dernier renvoie à son tour, et de soi, à autre chose encore : le chœur. On peut en effet considérer qu’à partir du moment où Louis XIV décide de restituer la cathédrale aux catholiques en 1681, non seulement commence une nouvelle étape de la vie de l’édifice, mais cette dernière apparaît bel et bien se caractériser par l’importance croissante que prend un nouveau "pôle de référence". Après la première étape, le Moyen-Âge, où l’on peut dire que le pôle principal de cette vie était en somme la nef, après une deuxième époque, le temps de la Réforme, où le pôle était devenu la chaire, une nouvelle et troisième étape tend à se définir et à se déterminer par rapport à un troisième pôle encore : le chœur et même, plus précisément, l’autel lui-même.

Appliquant les décisions du concile de Trente, les évêques catholiques, qui ont donc repris la main sur la cathédrale, en viennent en effet à se préoccuper beaucoup de rendre accessible aux fidèles, ou du moins audible et visible par eux, la liturgie rénovée au concile … Or l’un des effets de cette volonté est à Strasbourg, en 1682, la déposition du jubé que, durant tout le temps de leur présence, les protestants avaient au contraire soigneusement conservé. Dans les églises monastiques qui en possédaient un, le jubé était traditionnellement le lieu surélevé d’où pouvait être lue et annoncée la Parole de Dieu. Il faut bien le dire cependant, cette construction avait fini par devenir une sorte de barrière séparant de la nef des fidèles le lieu choral dans lequel moines ou chanoines se rassemblaient pour leurs offices.

Lorsque la Réforme intervint à Strasbourg, le peuple n’avait guère l’habitude d’investir le chœur, c’est le moins qu’on puisse dire, et donc les protestants choisirent de ne pas s’intéresser à ce qui pouvait se passer ou se poursuivre dans cette partie bien délimitée de l’édifice. Bien plutôt, ils décidèrent d’exercer la prédication et le culte pour tous dans la nef elle-même certes, mais plus précisément à partir de la chaire voire depuis le jubé : on l'a bien vu déjà avec Geiler puis Zell. De plus ou moins bonne grâce, le chœur fut dès lors laissé au culte catholique ou bien, après l'expulsion définitive de ce dernier, voué à telle ou telle activité pastorale − catéchétique par exemple.

Vue du chœur © Alexandre Hilbert

Or c’est là ce qui change avec le retour de l’évêque et du culte catholiques, dans la perspective d’une mise en œuvre de la réforme décidée à Trente, avec ses incidences précises en matière de liturgie. Le jubé est démoli et, certes, on peut aujourd’hui difficilement ne pas se désoler de la disparition de ce beau monument du gothique tardif : n’aurait-on pas pu, au moins, le transférer ailleurs ? (On peut rappeler qu’il était en particulier orné d’une très belle statue de la Vierge de Strasbourg ; j’ai pu la voir moi-même au musée "Cloisters" à New-York, et elle est revenue chez nous en 2001, à l’occasion de la très belle exposition "Iconoclasmes" organisée au Musée de l’Œuvre Notre-Dame et au Palais Rohan.) Mais allons jusqu’au bout, et avouons-le : si l’on ne peut certes guère que regretter la disparition de cet imposant jubé, on ne peut aussi qu’admettre qu’il représentait un obstacle considérable pour la célébration liturgique … à partir du moment du moins où l’on voulait que celle-ci se déroule et se présente de telle manière que les fidèles puissent effectivement s’y associer et y participer.

Cette préoccupation d'ordre nettement liturgique et pastoral, qui commence donc à se déclarer après Trente, demeurera pratiquement jusqu’à notre époque, chez ceux qui auront la responsabilité du culte à la cathédrale. C’est bien ce qui permet de considérer que le "pôle" en fonction duquel se définit principalement une troisième étape de la vie de la cathédrale est bel et bien, cette fois, le chœur. L’objectif étant désormais de valoriser la liturgie eucharistique (non sans "triomphalisme" du reste, dira-t-on par la suite), on construit à la croisée du transept (intégrée au "chœur") un monumental autel à baldaquin "à la romaine", les chanoines se trouvant dès lors transférés, pour leur office, sur le pourtour de l’abside.

Il n’est évidemment pas question d’entrer ici dans le détail des divers aménagements et réaménagements du chœur entrepris depuis le concile de Trente. Il est clair qu’y jouèrent un grand rôle la conception et donc le positionnement de l’autel, qui changea effectivement plusieurs fois de place, l’unique célébrant tournant du reste toujours le dos aux assistants. Il importe néanmoins de signaler un point : les transformations apportées par Klotz au XIXe siècle −la double balustrade encadrant l’escalier de montée au chœur, et les garde-corps revenant à angle droit vers les piliers de droite et de gauche sur la plus haute marche−, eurent sans doute un temps leur intérêt du point de vue architectural comme tel. Un semblable dispositif n'en présentait pas moins le grave inconvénient de masquer sérieusement ce qui se passait dans le chœur, d’autant plus que l’autel avait entre temps gagné l’abside, c’est-à-dire le fond du chœur.

4. Aujourd’hui, une réorganisation globale de l’espace


Après un nouveau concile, celui de Vatican II, qui insista plus que jamais sur l’importance de la participation des fidèles, on se trouva dans la nécessité d’installer un autel tourné vers le peuple. Mais, ne voulant pas prendre le risque de transformations prématurées parce qu’insuffisamment mûries, on se contenta, en attendant, d’un autel provisoire en contreplaqué recouvert d'un tissu aux couleurs liturgiques, qu’à l’occasion on transportait ailleurs dans l’intention de dégager la vue sur le chœur, rétrécie par les balustrades et les garde-corps.

Il était bien évidemment difficile d’en rester indéfiniment à ce provisoire, d’ailleurs devenu fort bancal avec le temps : un jour de Pâques, le contreplaqué fléchit sous mes yeux, et le calice rempli du précieux sang faillit se renverser.. S’ensuivit bientôt le réaménagement dont on peut maintenant bénéficier et pour la réalisation duquel je ne puis que me féliciter du précieux concours des architectes Duthilleul et Ferré. La consécration du nouvel autel eut lieu le 23 novembre 2004, c'est-à-dire le jour même du 60ème anniversaire de la libération de Strasbourg, qui avait d’ailleurs aussi été la libération de la cathédrale. (C'était également le jour anniversaire de ma propre ordination épiscopale sur place, sept ans plus tôt.)

Tous ceux qui, fût-ce une seule fois, ont présidé une célébration, ou y ont participé dans le chœur même, peuvent en témoigner : le nouvel aménagement de ce chœur a totalement transformé non seulement le climat mais l’esprit même de toute l’action liturgique. Essentiellement parce que s'est ainsi trouvée considérablement améliorée la communication avec l'ensemble de l’assemblée (nef et collatéraux).

À vrai dire toutefois, le résultat de cette dernière transformation n’est pas seulement que se voit remis en valeur ce que j’ai appelé le troisième pôle de la vie de la cathédrale – à savoir, donc, le chœur. Du même coup en effet, la nef elle-même est "valorisée", comme l’est tout aussi bien, et pour sa part, le lieu de la proclamation de la Parole de Dieu : non plus, certes, la chaire de Geiler (heureusement conservée) ni le jubé (hélas disparu), mais un ambon désormais distinct du pupitre de la simple animation liturgique, et fait du même marbre griotte que l’autel lui-même, auquel revient bien entendu, en des proportions réajustées, la place centrale.

On doit d’ailleurs ajouter que par la même occasion il a été possible de rendre également sa place, et dans le même marbre griotte toujours, à la cathèdre, ce siège de présidence de l’évêque, d’où l’édifice lui-même tire son nom.
Là où, en haut des marches conduisant au chœur, les garde-corps de Klotz rétrécissaient depuis un bon siècle et demi non seulement la vue sur le lieu de la célébration mais l’espace dans lequel pouvaient recevoir effectivement leur place les mobiliers propres à chacune des fonctions liturgiques −l’ambon de proclamation de la Parole, l’autel de l’action eucharistique comme telle, la cathèdre de la présidence−, on a maintenant trouvé le moyen de parer aux graves inconvénients qui résultaient des aménagements antérieurs. Enfin, complétant le tout, un large emmarchement (qui retrouve du reste une disposition du XVIIIe siècle) dégage totalement la perspective vers l'ensemble du choeur, entre les deux piliers encadrant le transept à droite et à gauche.

L’autel respecte les stipulations de la Présentation générale du missel romain demandant, en son chapitre 5, qu’il « soit élevé à une distance du mur qui permette d’en faire le tour et de célébrer en se tournant vers le peuple, [à l’]emplacement qui en fera le centre où convergera spontanément l’attention de toute l’assemblée des fidèles ». L’ambon manifeste que la proclamation de la Parole est essentielle à la célébration eucharistique, selon ce qu’indique la symbolique traditionnelle des « deux tables ».

Distincte du siège d’où s’exercent les présidences autres que celle de l’évêque lorsqu’il est absent, la cathèdre signifie que la célébration est celle d’une communauté rassemblée dans la communion catholique autour du successeur local des Apôtres.

Autel © Alexandre Hilbert

Placé entre ambon et cathèdre mais fait du même matériau noble qu’eux, l’autel –revenons-y puisqu'il est au centre de tout– signifie qu’architecturalement tout s’organise, et que liturgiquement tout doit s’ordonner, autour du Christ et de son mystère eucharistique.

Dans la vaste partie du chœur qui, vers l’abside, est au-delà de l’ensemble ambon-autel–cathèdre qui vient d'être mentionné, deux catégories de participants peuvent aisément prendre place autour de l’évêque.

D’une part, outre toujours les chanoines du chapitre, et pour certaines fêtes les séminaristes, les très nombreux concélébrants de ces grandes festivités que sont les ordinations ou la messe chrismale (et qui peuvent nettement dépasser alors la centaine) ; d’autre part, et en tout cas, tous les intervenants non-concélébrants, depuis les servants d’autel (une bonne dizaine) jusqu'aux membres de la chorale (une bonne centaine).

Le fait enfin que, depuis l’abside jusqu’au haut des marches de communication avec la nef, le chœur ait été aménagé selon une déclivité en pente douce (à 3%), permet à toute l’assemblée, et depuis le fond de la nef, de voir ce qui se passe jusqu’au fond de l’abside, et donc de s’y unir. Ainsi la communication peut-elle désormais être totale entre chœur et nefs (car il y a aussi les nefs dites latérales) et inversement … à travers les médiations qu’à la fois représentent et permettent ambon, autel et cathèdre.

Il convient d’ajouter que, placée au fond du chœur dans la chapelle axiale de l’abside et attirant donc d’emblée et sans cesse l’attention, une grande croix dorée rappelle à tous, chrétiens venus sur place pratiquer leur foi ou bien touristes ou esthètes de passage, que ce lieu de grandeur et de beauté est tout entier sous le signe du seul Seigneur que confesse la foi chrétienne. Elle leur indique d’elle-même le sens plénier et véritable de la splendide cathédrale qui, volontiers, les accueille si généreusement.

+ Joseph Doré
Archevêque émérite de Strasbourg

N.B. On pourra se reporter à « Le chœur rénové de la cathédrale de Strasbourg », L’Église en Alsace, Hors-série n°1 – 2005, 52 p. (5€, Archevêché – 16, rue Brûlée – 67081 Strasbourg Cedex).

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