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Sculpture et statuaire dans le christianisme occidental

Publié le : 28 Août 2009
Y a-t-il une spécificité du christianisme occidental en ce qui concerne la statuaire, analogue à la préférence de l'Orient orthodoxe pour l'icône ? La question est complexe : elle souligne des sensibilités théologiques aux accents différents, mais elle pourrait bien relever aussi d'éléments culturels ou anthropologiques, concernant le rapport aux statues.

De toute façon, le théologique et l’anthropologique sont toujours finement tissés, produisant des figures culturelles qui ont chacune leur beauté, et demeurent pour une part incomparables. Ainsi, d’abord, pourquoi cette différence considérable entre Eglise d’Occident et Eglise d’Orient, l’une intégrant abondamment dans son culte (jusqu’à la réaction de la Réforme) la statuaire, et l’autre privilégiant l’icône ? On ne se trompera guère en disant que les théologies sont différemment sensibles au mystère du Dieu fait homme : l’Occident met au centre les concepts d’incarnation et de résurrection, l’Orient insiste sur l’illumination et la transfiguration ; l’Orient contemple, et le voir est primordial pour la béatitude, l’Occident veut toucher et développe un impressionnant culte des reliques.

Détail d'un retable, baiser de Judas, dans la chapelle de la Houssaye, Pontivy (56)

Faut-il aller plus loin et dire que l’Orient marque ainsi la distance ou la transcendance du Saint, tandis que l’Occident cherche de toutes les manières à incarner (au risque de « matérialiser ») la Présence ? Faut-il dire aussi, si l’on veut partager ainsi la double thématique johannique de la lumière et de la vie, que les voies qu’emprunte le culte répondent au premier but recherché, d’un côté la Lumière sans fin, à partir de laquelle l’Icône nous regarde, et de l’autre côté, la Vie éternelle, dont la statue signifie qu’elle doit être arrachée à la mort. C’est ici que nous devons nous rendre attentifs à la double efficacité de la statue pour signifier par ellemême la présence et la vie, ce qui l’a toujours mise à part en fait de crainte d’idolâtrie, dès la première apparition de bétyles anthropomorphes dans le Moyen-Orient ancien. La statue en effet n’est pas une oeuvre d’art comme les autres.

D’ailleurs, le Lévitique ne proscrit pas tant l’image que l’image taillée, celle qui présente un corps tridimensionnel, et qui éternise le vivant. « Tu ne te feras pas d’image taillée, ni rien de ce qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre icibas, ou dans les eaux sous la terre. » (Ex 20,4). L’Ecriture une fois encore vise juste, la Parole sonde les reins et les coeurs. Dans le débat et le combat avec les puissances qui le dépassent, et qui mettent en jeu sa vie et sa mort, l’homme religieux se tourne vers l’« image taillée », et c’est là que se joue le passage du sacré au saint, cette dernière catégorie étant la seule catégorie biblique. La statue éternise le vivant de deux manières : elle en garantit par son immobilité la présence fondamentale, qu’aucune corruption ne semblerait pouvoir dissoudre. Mais aussi, elle concentre en elle les puissances du sacré qui sont pour le vivant une échappée possible vers l’éternité.

Ecoutons Michel Serres : « La statue ne vient pas, mais revient d’entre les morts. Nous connaissons le secret depuis le début, nous l’avons même toujours connu. L’inquiétante étrangeté, l’altérité que nous portons dans notre corps, mélangées à notre vie, comme Aphrodite à Hermès ou la droite à la gauche ou la musique tacite au langage bavard ou l’obscurité dans la lumière clignotante de la moire d’un rideau onduleux et replié, s’évoque dans la plainte musicale et dansante de la mort. La mort ferait-elle ce lien commun à tous les arts qui fuient toujours ceux qui le cherchent ? (…) Le chef d’oeuvre vient de la mort. La statue se lève au-dessus de la momie, sortie de la tombe. » Cet échappement à la mort est équivalemment entré dans le monde du divin. Comme l’écrit André Malraux : « Le sculpteur a manifestement sculpté, dans l’hypogée, une statue destinée à faire accéder le mort qu’elle représente, à un monde différent de celui de la terre, à un monde d’éternité : à un autre monde. (…) Toutes les formes majeures de l’art gothique s’élaborent pour la cathédrale, qui est ce qu’était encore hier la mosquée : au centre d’un enchevêtrement de ruelles, le vaste et solennel monde de Dieu. » Cette force de présence qu’incorpore la statue est présence presque plus forte que la parole.

Tête, Vincent Guiro

D’où la méfiance fondamentale de l’Ecriture biblique chrétienne (comme de l’Islam et pour la même raison), revivifiée dans le retour à la Parole exigé par la Réforme. « On voit d’après cela – pense Alain –, quel genre de discours peut tenir la sculpture, et quel non. Discours avec soi, discours sans paroles toujours. (…) Car le puissant langage du corps n’a pas suivi la parole ; il ne s’est point dispersé, il n’a pas bavardé ; il est affirmatif, et non dialectique ; il pose et résout par puissance et par présence pour la confusion des bavards, ce que dit très bien le Sphinx, il me semble. » Comment échapper alors à l’idolâtrie, empêcher que la vénération des images désoriente l’adoration qui n’est due qu’à Dieu seul ? Comment évangéliser le « sacré » pour qu’il signifie le « saint » ? Par la Parole qui tranche et discerne, comme dans le sacrement, rite évangélisé.

Là, comme en tout signe effectif où semanifeste la présence et la puissance de Dieu,  la parole doit accompagner le geste, l’arrachant ainsi que la matière à leur ambivalence (l’eau qui lave est l’eau qui tue, le feu qui purifie est le feu qui détruit…). L’icône nomme en entourant souvent visages et scènes d’une discrète écriture ; la peinture quand à elle raconte ; de même la sculpture (romane ou gothique) se christianise par le récit qu’elle illustre. La moindre crèche, avec ses personnages, renvoie à la géniale invention de François d’Assise, à son premier modèle, la crèche vivante faite de villageois, où se mêlent en synthèse harmonieuse le charnel et le spirituel autour du Nouveau-né qui est Dieu pour nous et au milieu de nous. Le risque demeure quand la statue est objet détaché d’un ensemble de sculptures, car, on l’a dit, elle est d’une autre puissance : il convient qu’elle soit elle aussi christianisée par un embryon de récit, par exemple les symboles qui renvoient à toute l’histoire : les clés de Pierre, la dalmatique de Laurent, le chien de saint Roch.

Le Christ de Louvain, Musée d'Art Religieux, Basilique de Koekelberg/ Bruxelles, Jean Roulland

Paradoxalement, mais conformément à la vie de l’esprit, c’est le regard – en l’occurrence, la qualité de la foi – qui dès lors fait la différence entre la statue idole et la statue objet de vénération ou de dévotion (pour laisser hors du débat la statue de musée). Dans le dialogue avec des amis juifs ou musulmans, c’est toujours en rappelant la pâque que le Chrétien montrera qu’il n’idolâtre pas la chair. Pour lui, l’incarnation est pascale. De même en présence d’une statue : l’Invisible qui atteste sa présence ne le fait par la massivité obscure d’une puissance sacrale, mais dans la mémoire et le récit d’une pâque, ou d’une vie transfigurée s’il s’agit des saints, et cette vénération traverse le visible, contre toute magie et menterie d’une présence supposée immédiate.

L’adoration chrétienne n’est pas écrasement devant des forces ambiguës qui nous sidèreraient : elle n’est pas moins que ressemblance avec Dieu lui-même comme Fils. La vénération chrétienne des statues va de pair avec la reconnaissance de la chair comme sanctifiée par Dieu et promise à transfiguration. Dans la foi qui voit déjà l’invisible qui ne cesse d’advenir, une statue est belle si elle porte à la prière.

Grand calvaire de Plougastel-Daoulas (29), 1604

François Bousquet,
Faculté de Théologie et de Sciences religieuses,
Institut Catholique de Paris

Article extrait de la revue Chroniques d'art sacré, numéro 88, Sculptures et statuaire, Sculpture et statuaire dans le christianisme occidental, 2006, p.6-8

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