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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Regard sur le patrimoine du chant sacré et la liturgie contemporaine

Publié le : 27 Mars 2015
Le père abbé de Ligugé, musicien et spécialiste du chant grégorien nous donne son regard sur le patrimoine du chant sacré et la liturgie contemporaine. A Ligugé, la musique est un apostolat, elle marque la vie communautaire, et pas uniquement lors des offices, au réfectoire, on lit la vie de Mozart...

Jean-Pierre Longeat répond aux questions de Thomas Wallut

Outre le chant des offices, quelle est la place de la musique dans votre vie?

Je continue à jouer du hautbois et pratique un tout petit peu une lectio divina musicale. C’est une écoute méditative de certaines pièces majeures. J’essaye non seulement de les écouter pour la beauté et le plaisir qu’elles peuvent procurer, mais plus encore pour le fond qu’elles véhiculent. La plupart des compositeurs essayent de dire des choses très existentielles. Ils développent un discours qui est, pour les plus grands, aussi important que celui des pères de l’Eglise ou des théologiens. Il faut chercher à goûter et à comprendre ce qu’ils ont à dire.

Par exemple?

Mozart partage avec l’Introït du Requiem quelque chose de très essentiel. Il commence sa pièce avec le thème donné par les instruments à vent qui évoque une certaine harmonie bienheureuse. De façon concomitante, il développe une espèce de respiration haletante avec les cordes : c’est celle du mourant. Le chœur entre alors avec le requiem aeternam, c’est la voix de l’Eglise qui implore Dieu pour celui qui meurt. Le discours va, ainsi, se déployer jusqu’à la résolution finale où l’apaisement va être total.
Ecouter cette pièce, en goûtant chacun de ses éléments et en les approfondissant dans une prière, c’est faire une lectio divina. On poursuit l’écoute dans un silence de communion ; cette méditation peut être aussi importante que celle d’un texte de saint Jean Chrysostome.

La musique liturgique prépare au silence, à la rencontre, au face à face

Oui et réciproquement, le silence prépare à la liturgie. Lorsque St Benoît, dans sa règle, dit "écoute, fais silence", c’est vraiment pour écouter la parole de Dieu. A l’intérieur de la liturgie, il y a des moments où l’on est dans un état de communion proche du silence. C’est un lieu très fort, où la vie en Christ, en Dieu, est privilégiée. Il faudrait vivre tout le reste de la vie dans cette même disposition.

La création musicale actuelle semble loin de tout cela!

C’est un prolongement de toute la réflexion qui a été engagée par Mozart ou par Goethe, sur la vie et la mort et le devenir de l’homme.

On peut se demander si le discours musical français d’aujourd’hui a toute sa part dans la réflexion et le développement de l’humain ; et si ce n’est pas qu’une espèce de divertissement qui occupe l’espace de la vie ordinaire sans avoir de prise sur le fond même de l’humanité.
Il faut pouvoir redonner, dans notre pays, les lettres de noblesse à ce qui a du sens et qui permet aux hommes de se guider dans l’existence. Et ceci, pas uniquement avec de la musique religieuse. Je pense qu’il y a de grandes pièces de compositeurs contemporains qui sont porteuses d’interrogations existentielles très fortes : Duthilleux, Ligeti ou même Beethoven avec l’Hymne à la joie.

Quel est le rôle de la musique dans votre communauté?

La musique est un moyen pratique pour aider à l’unification. C’est une activité de quelques quatre heures par jour. Depuis tôt le matin jusqu’à l’office des complies, nous ouvrons la bouche pour chanter. Nous essayons de le faire avec soin, pertinence et beauté. Même si la liturgie doit rester sobre, elle peut tout à fait s’adjoindre à la beauté, ou la beauté à la sobriété. C’est important que tous les éléments qui constituent le discours musical soient développés en harmonie les uns avec les autres, avec une certaine compétence...

D’une même voix et d’un seul cœur, nous chantons les textes des psaumes et de la liturgie pour s’adresser à Dieu en un seul corps : le corps du Christ qui parle à son Père.
Il y a vraiment dans l’acte musical commun, un travail de communion, d’unification, de cohésion, qui est important. On n’y parvient pas toujours, parce qu’aujourd’hui on se pense, souvent comme des individus juxtaposés et non comme des membres d’un même corps selon la mentalité de l’homme moderne.

Quel est le lien entre le texte et la musique?

C’est le rôle de la musique de permettre, plus encore que par la simple parole dite, de déployer toutes les harmoniques des textes qui vont être employés.
Je pense qu’on ne soulignera jamais assez que la musique instrumentale est très souvent dépendante de la musique du langage parlé. Il y a dans notre expérience humaine une originalité de la parole, manifestation de notre vitalité propre. Il s’agit de cette espèce d’élan et de repos dans lequel la vie se déploie. Toute la musique est liée à cette perception du mouvement. La musique instrumentale peut sembler abstraite. Mais on peut arriver à lui faire tenir un discours compréhensible, qui évoque par son rythme même les sentiments de peur, de joie, de douceur, de tristesse....

A l’abbaye de Ligugé, vous avez choisi de garder le répertoire grégorien, tout en y introduisant des chants français pour les offices. Pourquoi ce choix?

C’est vraiment très contextuel : cette communauté a un héritage grégorien encore vivant. On vient par exemple d’adopter, sans aucun problème, le nouvel antiphonaire publié par Solesmes selon la liturgie de Vatican II. Si nous avions un répertoire beaucoup plus en français, je pense qu’il faudrait mettre en place une pédagogie très différente, avec un travail beaucoup plus lourd. Et, il faut bien le reconnaître, le chant grégorien est un élément de fiabilité, de permanence. Il nous évite de changer de répertoire trop souvent.

Qu’exprime le chant grégorien?

Il a un avantage considérable sur le chant français. Il est écrit sur la langue latine dont l’accentuation permet des développements beaucoup plus faciles et plus colorés que l’accentuation française.
L’usage des modes grégoriens rapproche ce langage des musiques traditionnelles. Ils permettent des développements monodiques extrêmement riches qui ne se limitent pas simplement à la perception d’un mode majeur ou mineur. Il y a une infinité de possibilités et d’ambiances dans une "résonance" qui encourage la prière.
Ce n’est pas seulement une musique un peu planante. On peut chanter le grégorien d’une manière extrêmement vigoureuse et se retrouver dans des ambiances où la dimension spirituelle est très forte.

Quelle place pour le grégorien dans la liturgie paroissiale?

Il y a eu dans beaucoup de communautés une rupture de tradition avec l’usage du grégorien. Le phénomène actuel est que beaucoup de musiciens s’intéressent à la musique médiévale et au chant grégorien. Cependant ils l’abordent sous un autre angle que celui de la pratique paroissiale du XXème siècle.
Si jamais il devait y avoir un renouveau de la pratique du grégorien dans les églises paroissiales, ça ne pourrait être que du fait de groupes musicaux un peu approfondis. Ils devraient chanter cette musique avec la même compétence qu’on produirait de la musique de Mozart ou de la musique de Bach.... C’est un élément du grand répertoire.

Comment profiter des trésors du patrimoine de la musique sacrée dans nos célébrations?

Quelquefois, il y a un manque d’appropriation dans l’utilisation des grands répertoires. Par exemple, certaines messes de compositeurs sont des messes de concert hors contexte liturgique. Néanmoins, il y a certaines Messes de la Renaissance ou des Messes brèves de l’époque baroque ou classique qui sont tout à fait intégrales.
Dans la liturgie actuelle, lorsqu’on a un groupe qui est en mesure de chanter des pièces du répertoire, il peut être bon de lui réserver un espace à l’offertoire oui à la communion. Par contre, dans les autres parties, l’assemblée doit pouvoir s’exprimer avec de la musique plus véhiculaire. Il est important de ne pas faire de contresens sur les fonctions liturgiques. Le psaume après la première lecture est un élément important pour la vie spirituelle de la communauté chrétienne. Il ne faut mettre une pièce ou un motet par une chorale à la place du psaume, cela ne convient pas.

L’abbaye organise avec des partenaires extérieurs un festival en Poitou, les "Chemins de musique". Quels sont les objectifs de ces rencontres musicales?

La sphère culturelle permet aujourd’hui des partages que d’autres sphères ne permettent pas. Je crois qu’il faut l’habiter. L’Eglise est maintenant trop loin des milieux culturels pour qu’on ne prenne pas le souci de s’en rapprocher.
La communauté croyante a un certain nombre de clés pour la compréhension de certains textes ou rituels, dans lesquels ces musiques s’inscrivent. Il y a un partage de foi et de conviction à travers cette dimension musicale.
Il est souhaitable que les communautés chrétiennes n’aient pas peur de prendre des initiatives, plutôt que d’être tout le temps sur la défensive par rapport à des demandes qui viennent de l’extérieur.

On parle actuellement beaucoup de "ré-évangéliser" la culture, est-ce un exemple?

Je ne sais pas s’il faut dire ré-évangéliser la culture, ça voudrait dire : "moi je sais, et je vais vous dire des choses, et vous verrez vous serez meilleur après". Je pense que l’annonce de l’Evangile ne se fait pas sous ce mode-là. L’évangélisation se fait par un côtoiement amical accompagné d’une réflexion commune pour un partage de fond.
Il y a une compréhension évangélique de notre patrimoine culturel, mais qui est à découvrir avec d’autres. Certaines personnes connaissent Mozart beaucoup mieux que moi. Elles sont beaucoup plus capables de me dire comment cette musique est habitée par la force de l’Evangile, même si elles ne croient pas. Je suis content de partager et d’entreprendre avec eux une réflexion fondamentale. C’est plutôt moi-même qui serais à ré-évangéliser, en quelque sorte autant que nos interlocuteurs !

Cet article est tiré de la revue "Voix nouvelles", mars 2007
Crédit photo : David Latour/CIRIC

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