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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Processus d'une mise en oeuvre de la commande

Publié le : 26 Juin 2009
Note de réflexion d'un architecte :
L‘aboutissement réussi d'une commande par quiconque souhaite voir réaliser fidèlement ce qu'il en attend, relève de deux facteurs : la qualité explicite du voeu dans sa formulation que l'on nomme « programme » tout d'abord, puis un processus pertinent de sa mise en oeuvre.

La création

La commande s’exprime donc sous deux formes complémentaires : un énoncé informel mais exhaustif du contenu matériel voire fonctionnel de l’objet de la commande, et par ailleurs, une incitation indicative de l’esprit qui doit caractériser la réalisation souhaitée.

Mais est-il possible d’énoncer le contenu d’un désir dont la traduction, puis la réalisation qui s’en suivront, seront confiées à d’autres que celui qui l’aura ressenti ? C’est donc une tâche délicate, l’expression écrite du désir de création devant savoir suggérer fidèlement toutes les nuances et tout le contenu de l’espoir manifesté. Mais en l’occurrence, que signifie « création » ?

Créer naît d’abord d’un rêve : en cerner la consistance avec précision et aboutir à sa traduction par l’écrit, exige de l’analyser sous deux aspects : savoir tout d’abord en extraire le réalisme pour en dégager les exigences utilitaires.

Y introduire ensuite ce que contiennent les sensations « oniriques » perçues : l’idéal imaginaire ressenti dans une spontanéité qui se veut signifiante doit être précieusement traduit dans un programme pour être significatif de l’esprit même de la création.

Hélène Mugot, La Grande Marée, détail, décembre 2003, 2000 bocaux de verres dans la Chapelle de la Trinité à l'occasion de la Fête des Lumières ©ADAGP, Paris 2014

Si l’analyse du rêve révèle qu’il n’est que chimère, sans capacité d’interprétation concrète, sa traduction formelle sera impossible car utopique.

À l’inverse, si le programme se limite, comme c’est trop fréquemment le cas, à la seule énumération des contingences matérielles sans en évoquer l’esprit, aucune liberté d’imagination ne surgira de la sécheresse d’un programme... « tu m’as cassé mon rêve »... déclare l’enfant que l’on réveille aux nécessités quotidiennes.

Malgré les nombreuses difficultés inhérentes à cet exercice essentiel de la commande, les promesses qui y sont en puissance, dans un énoncé virtuel, représentent un exaltant capital d’espérance.

Comment alors savoir nourrir le contenu d’un programme pour alimenter les sources créatrices, idéalistes, imaginatives, propres à traduire ce que contient intégralement le désir de créer ? Comment permettre au transcripteur d’une vision irréelle et immatérielle de l’évoquer dans une description écrite et volontairement informelle, pour préserver la totale liberté d’expression et d’imagination de l’artiste à partir du programme ? Comment réunir dans ce même programme, de façon complémentaire, les exigences matérielles, notamment du lieu et de la fonction, en les complétant par des incitations d’ordre spirituel ou émotionnel ? Qui peut réussir à promouvoir un tel équilibre ?

Certes l’initiateur de la commande est le mieux placé pour imaginer ce qu’il ressent, mais sait-il exprimer clairement ce qu’il perçoit confusément ? Il ne possède pas, sauf cas particulier, l’expérience indispensable pour dialoguer avec les acteurs de la réalisation.

En outre, ces facilités de communication n’existent pas lorsqu’il s’agit d’un concours et la qualité d’expression du programme est alors déterminante pour garantir la fidélité aux souhaits qui y sont énumérés. Par ailleurs, l’auteur de la commande n’est pas toujours seul pour préciser les données d’un « rêve » qui se transforme alors en un voeu collectif ; dans ce cas, l’intervention d’un interprète fédérateur des souhaits ainsi formulés dans la diversité des exigences et des sensibilités est indispensable pour synthétiser et organiser le contenu de la commande, à l’usage du créateur.

Comment rédiger un programme?

Certains imaginent que les éléments d’un programme sont les prémices de l’acte créateur, et ne ressentent pas toujours à sa juste importance le caractère consubstantiel du texte et de sa traduction concrète dans l’oeuvre finale.

La formulation explicite et subtile de tous les éléments de la commande est, à égalité, responsable de la qualité de résultat. La commande est l’expression d’un désir intime dont le programme est le menu. Celui qui passe la commande est le premier auteur de la création. Il en est aussi le premier acteur à travers le rôle tenu par un second acteur qui écrit le programme, dresse la liste des besoins matériels et l’assortit de façon suggestive, inspirante du contenu d’un désir premier. Il en informe alors le troisième acteur et auteur de la réalisation concrète du « rêve ».

Marlène Dumas, Jesus Serene (Jésus Serein), 1994, lavis d'encre, aquarelle et crayon sur papier

C’est donc le processus d’une oeuvre collective née d’une formulation explicite d’un message informel dont le programme est porteur ; il faut d’abord prévoir de l’utilitaire, du fonctionnel, du quantitatif, répondant selon les données diverses de la commande à des besoins bien déterminés dans des conditions étroitement définies. Mais si le programme demeure à ce seul niveau prosaïque, l’imagination ne sera guidée que de façon creuse et molle. Il faut alors amplifier ces données, tenter de les porter, au moins spirituellement, à un degré d’intensité plastique que l’artiste sait fournir à l’aide de ses moyens propres.

Cela peut revêtir des aspects multiples : savoir écrire par exemple ce qui domine et ce qui accompagne, évoquer les caractères d’ambiance et les besoins ressentis à cet égard en termes de gloire, de recueillement, de présence de mystère, de clarté ou de ténèbres, d’intériorité ou d’ouverture ; le programme doit faire naître, selon les cas, ce qui traduit l’émotion, le spirituel, le rationnel, ce que seront les points forts ou l’effacement, les marques de symbole et de simple utilité.

Ce que la musique sait exprimer par des sons, l’architecte dans des espaces et par des formes, les artistes par la pulsation des matières, des couleurs, des jeux avec la lumière, tous ces moyens dirigent le regard et entraînent la pensée, dans des directions et dans des dynamiques adaptées au souhait intuitif de la commande.

L’art possède cette propriété merveilleuse d’être, à travers ceux qui le pratiquent l’interprète compréhensif car adaptable à toutes volontés sous-jacentes pour ajouter à l’utilitaire, la sublimation des lieux ou des sujets traités.

Riches de tous ces moyens d’expression, l’architecte, le peintre, le sculpteur, le verrier (qui possède le merveilleux talent de jouer avec la lumière) possèdent des recettes pour faire naître l’esprit du lieu. Mais seul le programme leur permettra de choisir les circonstances de leur mise en oeuvre pour y faire surgir l’esprit.

« Le but du monde est le développement de l’esprit et la première condition de l’esprit, c’est sa fidélité. » (Renan)
                                                                                                                                        

Comment alors, dans la fidélité au « rêve », faire paraître cet esprit dans les données indicatives du programme ? Si l’on s’interdit, à juste titre, d’imposer à l’artiste les moyens de son art, de son traitement, de son expression, on doit en revanche lui fournir le cadre général où son inspiration s’exprimera en toute liberté.

Les obstacles et les contraintes

Le processus de la commande peut rarement éviter leur rencontre et c’est un déroulement qui doit être pris au sérieux et ne jamais entraîner le découragement. Non seulement les contraintes canalisent la recherche, mais parfois même la stimulent. Plusieurs obstacles peuvent en effet se dresser lors de la progression des phases conduisant à la création :

- Le premier, déjà précédemment cité, peut naître de la multiplicité des sensibilités lors des choix du contenu de la commande. Dans ce cas, il faut éviter la résignation au pâle compromis ; la réussite est, au contraire, liée à l’expression d’une ardente volonté collective qui dépasse les conflits nés de sensibilités diverses pour oser le dépassement des jugements restrictifs. Le dialogue, les échanges permettent d’aboutir à un enrichissement mutuel obtenu d’ailleurs par les effets fructueux d’une pédagogie nécessaire...

Des contacts avec des artistes peuvent, à cet égard, être bénéfiques. Néanmoins il faut être prudent dans les modalités d’écoute des donneurs d’avis : cette catégorie d’intervenants à des titres divers pour conseiller sur le contenu de la commande ou sur le choix de ceux qui y participent doit faire l’objet des précautions suivantes : si l’appel à leur expérience intervient trop tardivement ou en ordre dispersé, les risques de divergences dans l’expression des avis font courir le danger décevant de créer l’incertitude, le choix d’un compromis prudent, parfois même l’abandon.

Si les artistes sont associés suffisamment tôt, principalement lorsqu’un programme s’élabore, les chances de réussite sont accrues car elles permettent l’obtention des capacités créatrices fournies par des témoins porteurs d’expérience dont les suggestions enrichissent.

- Un deuxième obstacle, et non des moindres par l’importance décisive de son franchissement pertinent, se produit lorsqu’il faut choisir celui qui, pourvu du programme, se verra chargé de le réaliser.

Lorsque l’artiste est librement choisi, c’est, en général en fonction de sa personnalité fondée, bien entendu, sur la connaissance éclairée de son talent, adapté à l’esprit de la commande ; dans ce cas, la seule connivence relationnelle n’est pas la meilleure garantie d’un choix pertinent. Le « coup de foudre » ressenti par l’artiste mis en présence du sujet à traiter est le meilleur indice de réussite. Cela doit faire l’objet d’entretiens répétés pour percevoir l’adéquation avec le « rêve » vécu dans la commande.

Mais si le choix de l’artiste résulte d’une mise au concours, le principe même de la confiance réciproque ne se manifeste plus. En outre, les règles actuelles observées dans les concours publics interdisent la prise de contacts directs du concurrent avec le jury, notamment lors des explications fournies dans la présentation des oeuvres. En conséquence, si la sélection des admis à concourir ne résulte que d’un choix parmi des références confirmées, elle ne permet nullement d’apprécier, à travers des échanges souhaitables, les réactions d’un candidat face au programme.

Le concours aboutit alors à une rencontre autour d’une expression écrite qui se traduit concrètement dans sa forme et son esprit mais, qui ne se discute plus : c’est à prendre ou à laisser. Dans le projet retenu, le lauréat jouit d’ailleurs d’une liberté qui dépasse de loin celle dont il aurait pu bénéficier au service du dialogue entretenu à la faveur d’un choix direct. Sa victoire au concours lui affirme la validité d’une proposition qui lie d’une certaine façon le maître d’ouvrage à son propre choix.

Michel Madore, Ils dorment, fusain sur papier marouflé sur toile 141x141 cm, 2000, détail du Retable des Figures Rugeuses, Installation éphémère à la Chapelle ND de la Sagesse, Paris, 2003 pour le temps du Carème.

Que conclure sur le processus de la commande ainsi décrit?

La réflexion qui précède est le fruit d’une expérience d’architecte. Elle se fonde sur des résultats recueillis lors d’étapes successives vécues à de nombreuses reprises depuis le rêve initial jusqu’à sa concrétisation. Elle aboutit aux constatations suivantes :

Quiconque souhaite vivre l’aventure de la commande et de sa réalisation dans un parcours harmonieux et fécond doit se préoccuper très tôt du souci artistique, reliant intimement le spirituel et l’esthétique aux exigences utilitaires qui en sont ainsi sublimées et créatrices d’un esprit du lieu. L’accès à cette harmonie dépend en grande partie de la disposition intérieure qui habite les auteurs, parfois nombreux, du libellé de la commande.

La concertation y est enrichissante par la pédagogie qui peut en résulter. Elle doit aboutir à une reconnaissance mutuelle des partenaires vers un but unanimement accepté, aussi bien dans sa formulation du programme que dans le choix délicat de l’artiste qui le réalisera.

Une fois ce stade dépassé, la liberté totale de l’artiste doit être rigoureusement respectée. C’est un pari : il faut l’oser.

Certes, cette réflexion peut être discutée : il serait enrichissant d’en recueillir de semblables de la part des autres acteurs de la commande ayant vécu cette exaltante aventure des modalités de la création.

Yves Boiret

Article extrait des Chroniques d'art sacré, numéro 77, 2004, © SNPLS

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