Emmanuel Berry, l’invisible à l’origine.
Publié le : 23 Mars 2018
Ce sont les questions que je me pose devant une photo signée Emmanuel Berry. Elle représente une partie du Penseur d’Auguste Rodin. D’abord, je remarque pour la première fois un gonflement de la lèvre provoqué par la main sur laquelle s’appuie le personnage. Ce détail, c’est à la fois la taille de la sculpture et le cadrage serré de la photo qui permettent de le remarquer. Mais une telle proximité transmet bien plus qu’une information de détail. La concentration du regard sur l’avant-bras dans le prolongement du visage axé sur le nez, les reflets de la surface, nette sur une courte profondeur de champ, décomposent et recomposent une figure qui vient à moi de son fond noir. Puissante, obscure et tellement proche. C’est bien le talent d’un grand photographe que j’admire.
Toute l’exposition « Rodin sous l’œil du photographe Emmanuel Berry » au Musée des Beaux-arts d’Orléans permet une telle méditation. Oui, Rodin s’y trouve « sous » un regard porté sur son œuvre. Quelques sculptures permettent de l’expérimenter. Mais certainement parce que le photographe a patiemment et humblement observé l’œuvre du sculpteur. Très exactement, les réserves du musée Rodin où Emmanuel Berry s’est installé pour une année entière. On y trouve des sculptures qui n’ont pas été jugées dignes d’être exposées, essais, premiers modelages, ratés… Elles reçoivent une nouvelle dignité. Le photographe prend le contrepied des recommandations du sculpteur qui utilisait la photographie comme un moyen de propagande. Qu’il prétendait maîtriser : « Faites-moi l’extrême plaisir d’offrir mes œuvres à la lumière devant un rideau placé franchement de biais de manière à obtenir un fond dégradé où la lumière joue dans les ombres. » écrivait-il à Bulloz !*
J’ai découvert le travail d’Emmanuel Berry aux belles heures de la galerie Photo4, alors qu’elle voisinait avec l’Ecole des Beaux-arts, rue Bonaparte. En particulier par une série publiée depuis sous le titre « Les alentours ». Des photos de paysage d’une banalité tellement dépourvue de pittoresque qu’on s’interrogeait sur leur pouvoir de fascination. Un invisible n’en serait-il pas la source ? On apprenait, sidérés, qu’il s’agissait des champs d'Oswiecim, aux alentours d'Auschwitz. Emmanuel Berry est né à Sens en 1971, après n’avoir longtemps utilisé que le polaroïd, il participe à sa première exposition collective en 1999, en compagnie de Jean-Pierre Pincemin. Depuis, les expositions personnelles se succèdent. Désormais il est représenté par les galeries RAPIN – MULLENDORFF à Londres, et LÄKEMÄKER à Berlin.
L’exposition d’Orléans montre des images riches de tensions nouvelles nées de son art. Comme d’un poète avec son sujet. Ses fragmentations ne sont pas celles du sculpteur. Son point de vue singulier approche des textures et des traces, des matériaux et des formes, et provoque une harmonie inattendue, des émotions autres, une réflexion neuve. Et, qui sait, modifier un peu notre pratique de photographes amateurs.
Je me souviens encore des coquillages dont il avait su capter la subtile texture.** Leur invisible intérieur ne serait-il pas, encore une fois, l’origine de ces vibrations délicates ?
Michel Brière, au service du Monde de l’art et aumônier des Beaux-arts.
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* Cité par Hélène, Catalogue, « Emmanuel Berry, Rodin » éditions Xavier Barral, 2016, p.4.
** Emmanuel Berry, « Coques, coquilles, coquillages » (texte de Marie Guillot) ed. Le temps qu’il fait, 2010.