Un joyau inaccessible, les basiliques de Latrun
Publié le : 14 Octobre 2016
Ce site côtier, placé au pied du djebel Akhdar, « la montagne Verte », entre Apollonia et Derna, se développa à partir d’une rare source pérenne. Limité d’abord en un simple pyrgos (ferme fortifiée) à l’époque hellénistique, un important village s’est progressivement développé à l’époque romaine grâce à son riche terroir. À l’époque byzantine, la construction de deux basiliques, distantes de 250 m, en fait un centre de pèlerinage rayonnant et un évêché mentionné par le métropolite Synésios de Cyrène au Ve siècle après J.-C.
Sous l’égide de la mission archéologique française de Libye, les travaux ont consisté en la restauration de la basilique occidentale (2001-2005) et de la basilique orientale (2009-2010), partiellement fouillées par Walter Widrig (1960-1961) auxquels s’ajoute l’étude d’un important complexe thermal romain depuis 2006.
Aucun autre édifice byzantin de Cyrénaïque n’a bénéficié d’une architecture aussi soignée que les deux basiliques d’Érythron construites entre la fin du Ve et le début du VIe siècle, avec deux orientations différentes et décorées de marbre de Proconnèse et de Thasos.
La basilique martyriale et funéraire
À proximité du cimetière occidental, se dresse la plus petite et la mieux conservée. L’église « occidentée » a un plan basilical à trois nefs divisées par deux hautes plinthes supportant chacune cinq colonnes couronnées par des chapiteaux corinthiens entre lesquelles étaient disposées des plaques de marbre, dispositif comparable aux églises grecques et chypriotes. Les bas-côtés et le narthex sont surmontés d’une galerie continue à chapiteaux ioniques à imposte. À l’ouest, l’édifice se termine par une abside centrale semi-circulaire pourvue d’un synthronon en bois, identifiable aux trous d’encastrement aménagés dans le mur, flanquée de deux pièces annexes précédées chacune d’une antichambre.
Le chœur, délimité par un chancel, s’étend devant l’abside et se prolonge dans la nef centrale par un étroit et solennel couloir axial. Dans la partie sud-est du chœur, se tient un petit ambon maçonné pour les saintes lectures. Le sol de la nef centrale et du chœur est décoré de dalles de marbre et les bas-côtés de carreaux en pierre. À l’est, l’église est précédée d’un narthex triparti et d’une cour. Un talus a été construit tardivement sur toute la longueur du mur nord de la basilique afin de protéger la maçonnerie des vents marins.
L’originalité de cette église réside dans sa double fonction martyriale et funéraire ; comme lieu de pèlerinage, elle conserve au nord-ouest de l’abside les vestiges d’un martyrion à l’intérieur duquel on vénérait les reliques d’un saint ou d’un martyr, malheureusement anonyme. Une telle dévotion explique la présence de tombes privilégiées, individuelles dans les bas-côtés et collective dans le narthex, un phénomène rare en Cyrénaïque, où les défunts recherchaient une proximité salvatrice et protectrice avec le saint personnage.
L’absence de reconstructions in situ durant les périodes post-byzantines a garanti l’incroyable conservation de l’édifice et des aménagements liturgiques du chœur, permettant une anastylose partielle des deux colonnades, de l’arc triomphal, du chancel et de l’autel, rendant au monument une partie de sa verticalité.
La cathédrale
Sur le promontoire majeur oriental de l’agglomération s’étend la seconde basilique (21,5 x 32 m) construite en partie sur les vestiges de bains romains transformés en une villa au Bas-Empire. L’intérieur divisé par deux rangées de six colonnes surélevées par un stylobate se termine à l’est par un chevet composé d’une abside centrale pourvu d’un synthronon en pierre et flanquée de deux pièces : au nord-est, une sacristie ; au sud, un baptistère abritant une cuve maçonnée cruciforme plaquée de marbre qui a été ensuite compartimentée et réduite témoignant du passage du baptême d’adultes à celui des enfants. Le chœur est ceint d’un chancel en marbre identique à l’église précédente et on retrouve les mêmes ordres architecturaux que dans la basilique occidentale.
Si cette basilique est la plus grande des deux églises, elle est en revanche la moins bien conservée. Après la conquête arabe, elle cessa d’être utilisée comme lieu de culte et fut convertie, probablement, en habitations. Seuls deux ensembles complets (base, colonne et chapiteau) de la colonnade sud ont fait l’objet d’une restauration.
Peu d’églises en Méditerranée peuvent rivaliser avec la richesse des deux basiliques d’Erythron. Pour la construction de ces basiliques, à moins de ne bénéficier uniquement d’un patronage impérial, il était nécessaire de disposer d’une importante communauté de fidèles pouvant consacrer une partie de leurs revenus à de telles édifications et à l’importation de marbre en si grande quantité. La présence de tous les éléments liturgiques en marbre en fait un édifice de premier ordre pour la compréhension de la liturgie byzantine et des techniques de construction, ceci dans un cadre naturel merveilleux.
Vincent Michel, professeur d’archéologie à l’université de Poitiers et directeur de la mission archéologique française de Libye
Extrait de l’article du numéro°1 Codex – Automne 2016 : Retrouvez la version longue de l’article dans le numéro de Codex actuellement en vente dans les kiosques.