Le monastère de Mar Behnam et son art sacré
Publié le : 22 Septembre 2016
Les portes sont toutes ornées de deux linteaux dont celui d’en haut est surtout décoratif (figure 3). C’est un espace sacré dans lequel l’artiste exprime ses conceptions théologiques : les deux serpents entrelacés, un grand motif Atabeg, versent leur venin dans deux calices, car le venin est le sang du Christ samō d-ḥayē « le remède vivifiant » de la déchéance humaine.
L’Islam est iconoclaste et ainsi furent les artistes chrétiens comme l’indique la figure abstraite et l’épigraphie dans la façade de l’église de Mar Behnam (figure 4) et celle du mihrab d’une mosquée de la même période dans la région (fig. 5).
Toutes les deux sont munies de niches décoratives : celle du milieu porte une croix ornée « signe de victoire » dans l’église alors qu’elle sert de mihrab dans la mosquée ; les deux niches d’à côté servaient pour les bougies. L’art abstrait (fig. 6) couvre les deux façades et l’épigraphie, la plus belle de l’épigraphie syriaque (fig. 7), entoure leurs bordures.
C’est la « porte des deux baptêmes » (fig. 8) dans l’église qui exprime le mieux l’art atabeg. À partir de la tête de lion sur le linteau d’en haut (fig. 8a), deux serpents entrelacés couvrent les trois côtés de la porte en forme de niches, chacune décorée de croix stylisées fort décoratives et de personnages monastiques nommés. Les niches d’en haut montrent deux scènes en relief ; à gauche c’est saint Mathieu, le fondateur du monastère de Mar Mattai dans la même région, qui baptise Mar Behnam, et celle à droite montre saint Behnam en chevalier portant dans la main droite le « livre de vie » céleste.
L’inscription syriaque dit : « Le martyr Mar Behnam se tint entre deux baptêmes : Il s’immergea dans l'eau mais cela ne lui suffit pas et fit plus en se baignant dans son sang. Quand son corps fut trempé du le sang de son cou, et que l'Eglise le vit et enquêta sur son affaire, elle commença à demander: Qui est donc celui dont les vêtements sont tachés de son sang ? »
La petite porte du sanctuaire est un petit musée avec ses deux lions accroupis et les belles inscriptions liturgiques ciselées en relief (fig. 9). La porte monumentale du sanctuaire (fig. 10), ou Porte Royale, est aussi décorée de doubles linteaux, d’inscriptions, et de figures de Mar Behnam en forme de saint George. Quant à la voûte de la chapelle de la sainte Vierge, elle est vraiment éblouissante : la voûte est une étoile en plâtre moulé (fig. 11a) dont les rayons partent en forme de rubans qui s’entremêlent au centre d’où ils se séparent pour former seize cônes allongés. Des étincelles s’éparpillent aux alentours de la voûte en carrés, rectangles, et losanges, tous inscrits en syriaque et en arabe. En fait l’étoile cache deux croix qui se superposent l’une sur l’autre (fig. 11b).
Le martyrium contient le tombeau de Mar Behnam couvert d’une façade datant de 1300 (fig. 12). La ruche au-dessus du tombeau est un autre motif atabeg, normalement fait de brique mais ici de farech, une pierre locale connue depuis les temps assyriens (fig. 12 a).
Le martyrium est un vrai musée d’art rupestre et parmi ses objets on trouve une croix arménienne khatchkar inscrite qui date de l’an 1171 (fig. 13), des plaques montrant des croix stylisées en vogue dans l’antiquité chrétienne (fig. 14), et des inscriptions syriaques qui datent de la période abbaside.
Amir Harrak, Professeur à l’Université de Toronto