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Juste la Fin du Monde de Xavier Dolan

Publié le : 14 Novembre 2016
A travers la quête obsesionnelle du regard et du visage de l’autre, Dolan filme comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort. "Juste la Fin du Monde" pose la question de la vérité de l’amour : un film poignant et dérangeant qui a été couronné à Cannes par deux prix : le Grand Prix et celui du Jury œcuménique.

Dans Pardonnez-moi, la réalisatrice Maïwen posait cette question : peut-on faire du cinéma qui intéresse tout le monde avec des histoires personnelles ? Telle est au fond la même question que pose ce film de Xavier Dolan comme œuvre cinématographique.

Bien que Juste la fin du Monde soit l’adaptation d’une pièce de théâtre de J-Luc Lagarce, on sent bien combien Dolan y a mis toutes ses tripes et toute son âme, combien le cinéma est pour lui un enjeu de vie ou de mort, une véritable thérapie, au point de parfois laisser le spectateur sur le carreau, loin de ces états d’âme. On se souvient de ce jeune homme lors de remises de prix à Cannes ou ailleurs  déchirant de larmes et de tragique, exposant au grand public sa souffrance et son parcours. Difficile de rester indifférent et de ne pas être profondément touché par cet excès de sincérité et d’émotions pourtant incongru et impudique. Juste la fin du Monde est un film totalement à son image. Une œuvre tournée avec les tripes, un cri d’amour ou plutôt de manque d’amour, comme un appel à l’aide, à la fois très dur et très beau.

Dans ce film hystérique, amer, se déroulant en huis-clos (rappel du théâtre), il se dégage une intensité dramatique exacerbée, éreintante pour le spectateur, allant jusqu’à provoquer de l’agacement ou le sentiment d’assister à des scènes qui ne nous regardent pas. Une sorte d’atmosphère irrespirable. Le jeu des acteurs, pas toujours convaincants, peut manquer de justesse. Sur le plan artistique le film est loin d’être abouti. L’image pourrait presque parfois évoquer une publicité bien léchée et stylée mais dénuée de profondeur. Dolan choisit une BO riche et diverse très markétée qui sert bien la gravité des émotions.

La force et la beauté du film résident autre part : dans son montage et l’utilisation du gros plan, cadrage omniprésent qui lui permet d’isoler le reste du corps humain. Dolan dévisage ses personnages. Il explore sans cesse les visages. Particulièrement celui de son héros Gaspard Ulliel qui semble exercer sur lui une profonde fascination mais également celui de sa mère jouée par Nathalie Baye. Succession de gros plans rendant la cohérence du montage très périlleuse puisque l’on ne voit pas toujours le jeu des acteurs dans l’espace et donc la logique de la scène.

Et pourtant nous suivons ce film de manière poétique, quasi surnaturelle, comme transfiguré à partir d’un pitch qui se résume pourtant en une seule idée. Dolan fait passer son discours par le jeu des regards, concentré sur le corps et particulièrement sur l’expression du visage, allant jusqu’à scruter dans les moindres détails de la peau. Ces gros plans traduisent quelque chose qui ne parvient pas à se dire, l’impossibilité d’une parole, une misère affective et relationnelle, le mystère d’une réponse qui ne peut pas se dire. Le cinéaste y cherche le moindre signe d’amour, la trace d’un sens.

Dans la traduction au cinéma de cet indicible, l’évocation de cette incapacité à se parler, Dolan se révèle très touchant et bouleversant. Le visage devient l’expression de la nudité devant l’autre, où la vérité de ce que nous sommes est présente, masquée ou pas. Visage comme le lieu même d’une altérité, d’une révélation devant lesquels, comme le soulignait Levinas, je suis toujours appelé à être responsable de l’autre.

C’est au plus profond cette quête de Dolan mais aussi de la nôtre, nous qui scrutons, presque gênés, ces visages livrés à l’écran, que l’on est atteint par ce film poignant et dérangeant.

Juste la fin du Monde a été couronné à Cannes par deux prix : le Grand Prix et celui du Jury œcuménique.

Pierre Vaccaro
Découvrez son webzine sur www.sacrecinema.com

Toutes les infos sur le film à lire sur le site officiel de Diaphana

Photos: JUSTE LA FIN DU MONDE ©Shayne Laverdière - Sons of Manual
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Pierre Vaccaro

Titulaire d’une maîtrise d’Histoire du cinéma à l’Université de Tours et d’un master en Communication au Celsa, Pierre Vaccaro a aussi étudié la théologie à l’Institut Catholique de Paris. Le cinéma représente pour lui une passion depuis de nombreuses années. Plusieurs travaux de recherches et de rédactions, notamment pour la revue 1895 de l’Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma, pour des sites de cinéma, ou encore pour Le Courrier Français via le groupe Bayard lui ont valu de collaborer pendant quelques années au Jury œcuménique au Festival de Cannes.

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