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La Passion selon Saint-Jean de J.S. Bach, oratorio liturgique

Publié le : 16 Février 2011
Je vous invite aujourd'hui à entrer dans le mystère de la Passion du Christ, grâce à Jean Sourisse, chef de choeur, directeur musical du Choeur d'Oratorio de Paris, professeur et compositeur, qui a donné la Passion selon Saint-Jean de Johann-Sebastian Bach en concert les 20 et 21 mars 2010, à Paris.

Pascale Guitton-Lanquest :
J’aimerais tout d’abord vous interroger sur la relation entre la musique et sa dimension spirituelle à travers vos activités de chef de chœur et de professeur.

Jean Sourisse : Pour moi, la relation à Dieu n’est pas évidente dans le monde de violence et d’individualisme qui est le nôtre. Mais heureusement, il existe des vecteurs qui conduisent à Dieu : l’église, dans toute sa beauté architecturale, d’une part et l’art, la musique en particulier, d’autre part. Monteverdi, Schütz, Palestrina, Bach, Mendelssohn, Brahms, sont autant de témoins qui me mènent à Dieu. Notre monde a besoin de témoins qui soient des phares vivants et lumineux, éclairant la route enténébrée des hommes.

Les supports littéraires, philosophiques, théologiques ou artistiques nous aident à ancrer notre foi dans le réel. Aujourd’hui, en 2011, je pense que la musique est primordiale dans ma vie de foi, elle la rend incarnée, féconde, et, je l’espère, rayonnante.

 

Portrait de Jean Sourisse © D.R

 

P. G.-L. : Evoquons l’événement majeur de l’année 2010 pour le Chœur d’Oratorio de Paris : l’interprétation de la Passion selon Saint-Jean de Johann-Sebastian Bach, les 20 et 21 mars, en l’église Sainte-Clotilde, à Paris.

J.S. : La Passion selon Saint-Jean m’a bouleversé, à plusieurs niveaux : elle a fait remonter en moi des souvenirs d’enfance, car j’avais chanté autrefois des extraits de cette œuvre magistrale. Ce fut en moi un mélange de moments du passé avec une grande émotion esthétique et spirituelle du présent. Et bien que je connaisse l’œuvre depuis fort longtemps, Bach reste toujours Bach, et sa musique me touche et m’atteint aujourd’hui aussi profondément que jadis.

 

P. G.-L. : Quel impact l’œuvre eut-elle sur vos choristes ?

J.S. : Un profond impact, même si la majorité des choristes n’est pas forcément croyante. Dans la Passion selon Saint-Jean, il y a une symbiose entre le texte et la musique qui l’illustre. Philippe Charru, théologien et musicologue, explique remarquablement la théologie, la symbolique, la numérologie de la musique de Bach. Cette rhétorique intéresse et captive les chanteurs, qu’ils soient croyants ou non, et les aide à interpréter la musique avec la compréhension et l’intelligence requises.

De plus, le sujet est porteur, accrocheur, par les thèmes de la souffrance et de la passion, qui conduisent à la mort. Car la Passion du Christ est un tout autant un drame humain qu’un événement divin : or ce drame embrasse tous les temps et concerne toutes les époques de l’histoire, a fortiori la nôtre, qui vit tant de guerres, de maladies, de cataclysmes, de génocides, de catastrophes naturelles en tous genres… : ce sont autant de « Passions », qui renvoient à la souffrance et à la mort, auxquelles sont confrontés tous les hommes, en tous lieux et en tous temps. La Passion du Christ se vit donc encore dans notre monde contemporain, à travers la maladie, la souffrance et la mort.

Mes choristes furent donc très sensibles à l’expression de la souffrance et de la mort dans la Passion selon Saint-Jean. Chanter une telle musique sur un texte biblique n’est pas anodin, chanter une telle musique laisse des traces indélébiles dans le cœur des gens, et cela n’a rien à voir avec la foi !

Par exemple les chorals, qui représentent le « nous » communautaire de l’assemblée, sont des méditations collectives qui rejoignent les questions fondamentales que le monde actuel se pose. Ils étaient chantés par les fidèles lors de l’office de la Passion du Vendredi Saint, et donnent à l’oratorio sa dimension d’éternité : les chrétiens de tous les temps se demandent quelle est leur part de responsabilité dans la souffrance du Christ, ils méditent ces événements avec du recul, une prise de distance, une certaine culpabilité. Ils sont concernés par la Passion et la mort du Christ, puisqu’elles sont rédemptrices des péchés du monde.

 

Photographie du concert Passion Selon Saint Jean, église Sainte Clotilde, Paris (mars 2010) © François Devienne

 

P. G.-L. : Quelle est la place du texte dans cette Passion ?

J.S. : Elle est essentielle : si l’on ne s’attache qu’à la musique, qu’aux notes, rythmes, mélodies, accords, contrepoint…, aussi géniaux soient-ils, sans se soucier du sens des paroles, on passe à côté de l’essentiel au risque de commettre de graves contresens dans l’interprétation. Les choristes, même les agnostiques, demandent la traduction du texte allemand, ils veulent chanter avec intelligence. Je suis pour ma part convaincu que, plus un chanteur comprend le sens et la portée du texte, mieux il l’interprète et mieux il saura le transmettre au public. La compréhension des paroles, la place et le rôle de chacun des personnages de ce drame, sont au cœur même de la musique, ils la suscitent et l’éclairent.

Dans le luthéranisme, l’Ecriture est la base de toute la foi du chrétien : la chaire est l’élément le mieux mis en valeur dans un temple protestant, pour montrer que la Parole est primordiale, fondamentale, salvatrice des péchés du monde. C’est une religion de l’oreille, sans éléments visuels qui détourneraient l’attention des fidèles. Les vecteurs principaux de transmission de la foi sont l’Ecriture et la musique.

Le catholicisme, au contraire, est une religion de la vue : dans une église, de nombreux éléments décoratifs (statues, tableaux, mobilier, bougies…) accrochent l’attention des visiteurs, comme des signes visibles d’une réalité invisible.

 

P. G.-L. : Comment réagissent les choristes incroyants par rapport au texte et à l’événement historique ?

J.S. : Je leur dis que par respect pour le compositeur qui était croyant, ils doivent « jouer le jeu », en se mettant en quelque sorte dans la peau du musicien et en chantant ce texte comme s’ils y adhéraient, sur le plan divin. Je ne leur demande pas de croire ces vérités théologiques, mais de les respecter, par égard pour Bach. Mais je pense aussi que les choristes, en règle générale, sont en recherche intérieure, en cheminement et qu’ils s’interrogent… Une œuvre d’art comme celle-ci les interpelle… D’ailleurs, ce sont eux qui me réclament à cor et à cri de la musique sacrée de Johann-Sebastian Bach ! La Messe en Si est en projet, à leur demande. Et dans mon chœur, les quatre cinquièmes du répertoire sont d’inspiration religieuse.

 

P. G.-L. : Peut-on parler de catéchèse musicale à propos de la Passion selon Saint-Jean ?

J.S. : Indéniablement, car l’explication du sens des paroles, du déroulement du drame, de la place de chaque personnage au cœur de l’action invite les choristes à une découverte de la Bible, donc à une meilleure compréhension de l’Ecriture Sainte. Le texte est structurant dans la mesure où il indique les lieux où se passent les différents événements de la Passion. De plus, il ne faut pas oublier que la musique se chante au cours d’un office luthérien, les deux parties de l’œuvre encadrant le sermon du Pasteur.

Au cours des répétitions, je me suis efforcé d’expliquer aux chanteurs la symbolique des paramètres musicaux : tonalités, mesures, rythmes, écriture mélodique, contrepoint, soli, dialogues entre les protagonistes… Tout est signifiant dans la symbolique de Bach, ce qui permet de pénétrer le cœur et le mystère de l’œuvre. Et il faut aller au fond des choses pour interpréter cette musique sacrée.

 

Photographie du concert Passion Selon Saint Jean, église Sainte Clotilde, Paris (mars 2010) © François Devienne

 

P.G.-L. : Avez-vous rencontré des difficultés en tant que chef de chœur ?

J.S. : La principale difficulté tient à la structure de l’œuvre : La Passion du Christ est un drame aux épisodes enchâssés, sans découpage vraiment net, mais avec des interruptions incessantes. Par exemple, la foule en révolte, incarnée par le chœur, interrompt le jugement chez Pilate par des interventions spontanées.

Cette dramaturgie de l’œuvre est à transmettre musicalement aux voix chantées du choeur, qui doit trouver deux couleurs différentes, exprimées par la direction et l’expression du chef. L’unique chœur incarne en effet deux rôles opposés, à deux époques différentes : une foule en délire au Sanhédrin, hostile et révoltée d’une part, au cœur même de l’action, et l’assemblée des chrétiens du XVIIIe siècle, contemporains de Johann-Sebastian Bach, qui prend du recul par rapport à l’événement et le médite dans la prière. Dans les chorals, les chrétiens s’interrogent sur le pourquoi de cette souffrance et de la mort du Christ, avec une culpabilité certaine. Les chorals sont comme un zoom spatio-temporel, ils marquent une distanciation et une actualisation de la Passion de Jésus, événement rédempteur qui embrasse tous les lieux et tous les temps. En ce sens, on peut dire que les chorals sont les cantiques universels de tous les chrétiens, sans limitation d’espace et d’époque.

 

P. G.-L. : Quel souvenir gardez-vous des concerts ?

J. S. : En premier lieu, l’émotion et la dimension esthétique. Le concert se déroulait dans un beau cadre, sous les voûtes majestueuses d’une grande église parisienne : le travail fastidieux, le labeur parfois douloureux des répétitions sont transcendés le jour du concert, qui donne à écouter une chef d’œuvre autant qu’à partager une prière collective.
Le public réagit bien quand il sent que les chanteurs comprennent et vivent ce qu’ils chantent. Cette atmosphère spirituelle est contagieuse, l’auditoire est assimilé aux fidèles d’un culte luthérien. A la fin du concert, après l’accord final, il y eut un silence de dix secondes avant les applaudissements : c’est aussi inhabituel qu’impressionnant, cela montre la qualité d’écoute et de recueillement tout au long de la musique.

Pour moi, c’est le signe évident que la musique nous aide à mieux vivre, à trouver notre équilibre, à aimer, à prier… L’art de Bach apporte une dimension supplémentaire : celle de la profondeur, spirituelle, intérieure, venue du fond de l’être. C’est une dimension surnaturelle, intemporelle … essentielle… On en sort vivifié, régénéré, ressourcé !

 

Photographie du concert Passion Selon Saint Jean, église Sainte Clotilde, Paris (mars 2010) © François Devienne

 

Avec mes souhaits de bonne lecture et d’agréable écoute !

Pascale Guitton-Lanquest - 16 Février 2011 

Ecouter un extrait musical

Reproductions photographiques avec l’aimable autorisation du Chœur d’Oratorio de Paris, www.oratoriodeparis.asso.fr

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