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Un motet du Grand-Siècle pour la Fête-Dieu

Le concile de Trente (1545-1563) ne fut pas que l’initiateur de la Contre-Réforme en réaction à la Réforme luthérienne, il fut aussi et surtout le moteur de ce qu’on appelle la Réforme Catholique cherchant à donner un élan nouveau à la vie chrétienne par la fréquentation des sacrements, en particulier de l’Eucharistie. Les 17ème et 18ème siècles en France comme en Italie virent fleurir motets et « dialogues spirituels » afin de redonner par le chant le goût des choses saintes. En ces temps de Fête-Dieu, belle occasion de redécouvrir une page musicale oubliée.
Publié le 23 juin 2014
Écrit par Emmanuel Bellanger

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), lui-même excellent chanteur, écrivit en 1683 un « dialogue spirituel » intitulé : « Famen meam » sur le thème de l’Eucharistie, « Apaise ma faim ». Cette page entre dans la catégorie de ce qu’on appelait une « Élévation » en référence à ce rite accompli durant la messe.
Le concile de Trente fut source d’un renouveau artistique extraordinaire dans tous les arts, plastiques ou musicaux. Il s’appuyait sur la conviction que la beauté voire la splendeur sont des aides précieuses pour que les cœurs reçoivent les vérités de la foi. Les retables conduisent le regard vers le tabernacle : ainsi est affirmée la réalité de la Présence Réelle. Le regard porté sur l’objet de vénération est essentiel : voir l’hostie consacrée était lié nécessairement au rite de la consécration. C’est la raison d’être du geste appelé  « Élévation ». Ce rite était accompagné d’une musique appropriée qui devint un genre musical en soi. Voici comment Sébastien de Brossard (1655-1730) maître de chapelle à la cathédrale de Meaux, définit l’Élévation dans son dictionnaire :
« Ce mot signifie aussi des Motets à 1, 2, 3, 4 voix. Ordinairement seules, quelquefois avec des violons ou des flûtes, presque toujours avec une basse continue, qu’on chante pendant qu’on lève le corps de Notre Seigneur à la messe, d’où l’on a formé ce nom ».

 


Maître-autel et retable de la chapelle des Bénédictines
Marbre, bois peint et doré, huile sur toile
    XVIIe siècle – XVIIIe siècle, Vitré, France © DR

Cette somptuosité, cette saveur, Charpentier nous les donne à entendre dans sa musique. Il s’agit d’un dialogue spirituel entre trois personnages : l’âme affamée, l’assoiffée et le Christ. Ce genre du dialogue était très apprécié au 17ème siècle. Non seulement la musique accomplit sa fonction rhétorique d’aider le texte à se dire, mais par son instrumentation, ses thèmes et ses harmonies, elle rend perceptible la joie intérieure de goûter les bienfaits savoureux offerts dans la liturgie.
Pour cela, Charpentier utilise des procédés musicaux simples et efficaces. Il crée par le choix et la répartition des instruments un jeu de contrastes qui permette aux paroles chantées de s’éclairer mutuellement. Deux violons à la sonorité aigüe et bien sonore, deux violes de gambe plus douces et plus graves éclairent ou assombrissent successivement le déroulement du chant. Voici quelques repères pour suivre le déroulement de cette pièce :
Un prélude instrumental donne le ton général, celui de la douceur, presque la tendresse. Puis entrent les trois personnages : les âmes lancent leur appel « Qui peut me rassasier, qui peut étancher ma soif ? » auquel répond le Christ « Viens mon fils, viens ! » Les âmes chantent leur joie.
Dans un nouveau dialogue, le Christ chante « Je possède le pain céleste et rassasie celui qui a faim »  Les âmes réitèrent leur appel, mais dans une autre couleur, celle de la sérénité « esurio – j’ai faim, sitio – j’ai soif »
Le Christ chante alors sa joie d’accueillir ceux qui l’implorent, son discours brièvement assombri par l’évocation de la croix qu’accompagnent les deux violes.
« O ! O ! Panis angelorum » conclue ce dialogue en musique dans une somptueuse polyphonie à 6 et même à 7 voix.
Le jeu entre les violons et les violes est une clé importante d’écoute pour pénétrer le sens de cette admirable musique.

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Bossuet (1627-1704) évêque de Meaux au temps de Charpentier exprime ainsi cette saveur dont se nourrirent de nombreux écrivains spirituels de ce siècle :
« Attendons-nous donc à ce repas éternel, où le pain des anges nous sera donné à découvert ; où nous serons enivrés et transportés de la volupté du Seigneur, et des ravissantes délices de son amour. Le festin du Seigneur en était l’image. »


 

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