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Schönberg, Kandinsky : ou la vérité en art

Publié le : 10 Octobre 2016
Une exposition sur le compositeur Arnold Schönberg (1874-1951) intitulée « Peindre l’âme » vient de s’ouvrir au musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris. Connu pour ses recherches dans le domaine du langage musical, perçu souvent comme hermétique, Schönberg fut un explorateur, un découvreur, un aventurier de la musique qui a ouvert des portes vers la musique d’aujourd’hui ; mais pas seulement la musique, la peinture fut aussi son mode d’expression car, au-delà des sons ou des images, c’est bien la quête de la vérité qu’il a poursuivie au long de sa vie.

Qu’est-ce qui se cache derrière cet autoportrait du compositeur ? Que scrute ce regard ? Ce visage certes ressemblant est-il « beau » au sens habituel de ce mot ? Que nous disent ces yeux qui mangent un visage inexpressif, presque froid dans ses teintes d’apparence métallique ? La peinture n’est pas un miroir, elle reflète pourtant une vérité que les apparences masquent. Or la vérité n’est pas de même nature que la beauté, sans l’exclure évidemment. Il me semble que cette image que le compositeur nous donne de lui-même nous fait percevoir le noyau de sa vie d’artiste : la recherche de la vérité en art.
Un autre artiste, son contemporain, a suivi la même route avec les mêmes conclusions, lui qui était d’abord peintre et aussi musicien : Wassily Kandinsky (1866-1944).

Arnold Schönberg, autoportrait, 1919, encre de chine sur papier, 41x28 cm ©Vienne, Centre Arnold Schönberg ©Belmont Music Publishers/Paris, ADAGP, 2016

La beauté n’est pas la raison d’être première de l’art mais bien l’expression de la vérité. La beauté est bien souvent l’obéissance à des conventions qui se sont imposées au cours des années et qui deviennent une norme. Quel est donc le chemin de cette vérité ? Celui de la « nécessité intérieure » qui est au cœur de la recherche de Kandinsky comme de Schönberg. 
Ce que nous appelons « beauté » devrait être appelé « beauté extérieure » qui masque la véritable « beauté intérieure » : cette conclusion entraîne immanquablement le refus des conventions ou des habitudes. Dans cette œuvre de Kandinsky, c’est le dialogue entre les couleurs (douces ou violentes, apaisantes ou agressives), le jeu des formes, c’est-à-dire notre propre expérience de la peinture qui est le sujet du tableau.

La « nécessité intérieure » est intérieure d’abord à l’œuvre elle-même : chaque couleur, chaque trait trouve sa seule justification dans sa place sur la toile et sans rapport avec quoi que ce soit d’autre : Schönberg travaille de la même façon. La place de chaque note est nécessairement celle que le compositeur lui assigne parce qu’elle ne peut être ailleurs. En recherchant cette nécessité intérieure à l’œuvre c’est sa propre nécessité intérieure qu’il explore. L’artiste prend inévitablement le chemin de l’incompréhension. Comme l’écrit Kandinsky dans Du Spirituel dans l’art : « Avec un refus total du beau habituel, saluant comme sacrés tous les moyens d’expression personnelle, le compositeur viennois Arnold Schönberg est encore à l’heure actuelle seul. » Ce texte a été écrit en 1909 (Folio essais 2004, p. 89).

Cette attitude du peintre comme du musicien les a conduits à se percevoir comme des prophètes. Ainsi que l’écrivait Schönberg : « Mon sentiment personnel est que la musique dispense un message prophétique et révèle la forme de vie plus noble vers laquelle aspire l’humanité. » (Texte cité dans ‘’Musiques, une encyclopédie pour le 21ème siècle’’, Actes sud, tome 1 p. 329.)

Vassily Kandinsky, Impression V (Parc), 1911, Huile sur toile, 106x157 cm ©Paris, Centre Pompidou, MNAN-CCI dist.Rmn-GP/Bernard Prévost

La vie de Schönberg n’est qu’une aspiration à trouver cette vérité en art, c’est-à-dire au fond sa propre vérité, lui qui, né dans le judaïsme, se convertit au protestantisme avant de revenir à la foi de ses Pères. Mais en fait, la religion pour lui ne fut jamais acceptation passive d’une vérité de foi révélée, mais recherche intérieure de la vérité. L’œuvre musicale est une révélation violente de cette rencontre impossible entre une Parole divine et la quête humaine sans cesse poursuivie et jamais aboutie. Deux pages majeures du compositeur autrichien, nourries l’une et l’autre du texte biblique, expriment ces questions permanentes. Le fait qu’elles soient restées inachevées doit-il nous surprendre ?

Schönberg a entrepris L’Echelle de Jacob au cours de la Première Guerre Mondiale, puis l’a repris en 1922 puis 1944 sans l’achever. C’est son élève Winifried Zillig qui termina l’orchestration de ce que Schönberg avait écrit. L’œuvre fut créée à Vienne en 1961 : c’est ce concert que je vous propose.

« [Jacob] eut un songe : voici qu’était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel ; des anges de Dieu y montaient et y descendaient. » Genèse 28, 12.
L’œuvre s’ouvre sur l’ange Gabriel qui donne le sens de cette échelle qui manifeste les âmes à la recherche de Dieu : « Tu dois continuer ta marche sans t’interroger au sujet de ce que tu quittes ni de ce qui t’attend. » Le chœur et les différents groupes expriment leur aspiration à recevoir et comprendre le message divin. Schönberg utilise dans cet oratorio toutes les techniques vocales : depuis le parlé-chanté (Sprech-gesang) jusqu’au chant colorature. Texte et musique sont de Schönberg.

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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