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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Reprendre, répéter ?

Publié le : 19 Septembre 2016
En ces jours de reprise, certains d’entre nous sont guettés par un sentiment de lassitude ou d’ennui : le « à quoi bon tout cela » n’est pas loin. Job ne disait pas autre chose : « Vraiment la vie de l’homme est une corvée, il fait des journées de manœuvre. » (Job 7,1)
La musique pourrait-elle à sa manière nous révéler ce que reprendre veut dire, alors qu’elle n’est elle-même fondamentalement que reprise ?

Nous venons d’entendre un page de Jehan Alain (1911-1940) jouée ici par sa sœur Marie-Claire, intitulée : « Le Jardin suspendu ». En tête de sa partition le compositeur a écrit : « Le Jardin suspendu, c’est l’idéal perpétuellement poursuivi et fugitif de l’artiste, c’est le refuge inaccessible et inviolable. » Les contrastes qui structurent ce texte cherchent à dire l’inexprimable de toute expérience humaine : comment l’inaccessible, fugitif de surcroît, peut-il devenir refuge inviolable ?
Cette page de Jehan Alain est une CHACONE : sans qu’on s’en soit rendu compte on a entendu 9 fois le même thème intégralement. A l’image de nos vies, tout est toujours recommencé, mais rien n’est jamais identique.

Victor Vasarely, Vega 222 , 1970

La CHACONE comme la PASSACAILLE qui lui est pratiquement semblable, était  une danse vraisemblablement d’origine espagnole. A partir du 17ème siècle, chacone et passacaille sont devenues un procédé d’écriture de nature répétitive : un thème de 4 ou 6 mesures le plus souvent est répété identique à lui-même du début à la fin de l’œuvre au-dessus duquel se déploient des musiques toujours différentes. A l’image de la vie, les années se succèdent selon le rythme du calendrier, mais nous ne les vivons pas de la même façon.

Henry Purcell (1659-1695) nous offre un superbe exemple de ce type d’écriture musicale avec l’air fameux de la mort de la reine Didon abandonnée par Enée : elle laisse s’épancher sa plainte sur un air que l’on croirait librement écrit selon l’inspiration, entrecoupé de silences dramatiques, alors qu’il est construit sur une basse répétée inlassablement. Le thème fondateur de cette chacone ou passacaille est une descente chromatique (par demi-tons) en sol mineur, image de l’abandon et de la désolation. Nous touchons dans cette page admirable le cœur d’une détresse humaine qui ne peut se dire qu’en se répétant encore et encore tout en se développant toujours plus profondément.

C’est tout autre chose qu’exprime Jean-Sébastien Bach (1685-1750) dans son Magnificat en utilisant ce même procédé de la chacone. Le verset « Quia fecit mihi magna qui potens est – le Puissant fit pour moi des merveilles » est construit sur un thème vigoureux en LA Majeur indéfiniment répété par les violes de gambe, c’est-à-dire à la basse, sur lequel le chanteur (ici une basse) développe son air. C’est la fermeté de la foi de Bach qui s’exprime ici : au-delà des vicissitudes humaines, Dieu est toujours présent, au-delà de notre temps, toujours agissant, comme le suggère la dynamique du thème sur lequel l’édifice musical est construit.

Les compositeurs du 20ème siècle ont retrouvé et renouvelé des formes anciennes que le 19ème siècle avait oubliées. C’est le cas de la chacone ou de la passacaille.
La 1ère symphonie d’Henri Dutilleux (1916-2013) s’ouvre sur une passacaille. A l’image de la vie telle que le compositeur la conçoit, le thème fondateur de l’œuvre se cherche dans les premières mesures, puis une fois installé, se répète tantôt à la basse (où on peut facilement l’identifier grâce aux pizzicati des violoncelles et contrebasses, c’est-à-dire joué en pinçant les cordes) tantôt par tout l’orchestre. Dutilleux ne sait pas où conduit la vie, mais il l’accueille et tâche de ne rien perdre de tout ce qu’elle lui offre, mesure après mesure, jour après jour, année après année.

La chacone et la passacaille sont à la fois répétition et renouvellement comme nos vies. Ce retour cyclique des années avec leurs jalons attendus ne sont jamais simple reprise. Nous les revivons certes, mais toujours différemment. Comme le disait le peintre Delacroix revoyant des lieux aimés après des années d’absence : « Toujours les mêmes gravures et dessins pendus aux mêmes places, rien n’a bougé, que nous qui avons fait du chemin depuis tout cela. »
Reprise n’est pas simple recommencement mais nouveau commencement.

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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