Reprendre, redire, recommencer, à quoi bon ?
Publié le : 7 Septembre 2015Nous connaissons cette notion si importante de la « reprise » en musique : il s’agit de faire entendre à nouveau le même thème, soit tout de suite après son premier énoncé, soit après divers épisodes, comme un retour. Cette technique musicale de la « reprise » permet à l’auditeur de se repérer dans le déroulement linéaire de la musique : le retour d’un déjà entendu se présente à l’oreille comme un jalon, un signe rassurant qui lui permet de s’orienter. C’est un peu comme l’architecture d’un bâtiment classique.
Le palais dit du « Belvédère » à Vienne en est un bel exemple. Le pavillon central est le cœur du monument autour duquel s’articule l’ensemble : deux ailes de même hauteur, exactement semblables l’encadrent de part et d’autre, terminées de chaque côté par deux ailes plus basses. L’équilibre de l’ensemble trouve son assise dans ce jeu de symétrie et de ressemblances, on pourrait dire de « reprises ».
Ce palais date des années 1722/1723 : un des compositeurs les plus emblématiques de cette période dans le monde danubien est certainement Joseph Haydn (1732-1809). Son œuvre dans tous les registres de la musique de son temps fait de lui un précurseur en même temps qu’un grand artiste, en particulier dans le domaine du quatuor à cordes : on croirait entendre un orchestre complet dont il atteint la richesse sonore avec seulement quatre musiciens. Ses premiers quatuors sont un peu postérieurs à la construction du palais du Belvédère mais ils obéissent à la même esthétique de l’architecture symétrique.
La page que je vous propose est tirée d’un des premiers quatuors, l’opus 3. Il semble que cette page ne soit pas de Haydn, mais d’un de ses admirateurs qui a voulu suivre son modèle : un moine nommé Romanus Hofstetter (1742-1812). Ce pastiche est tellement réussi qu’il a été longtemps attribué à notre compositeur. Qu’importe pour nous : l’essentiel est dans ce que nous fait découvrir cette musique de grande qualité.
Il s’agit de la Sérénade tirée du quatuor opus 3 n° 5. L’appréhension de cette musique est grandement facilitée par le compositeur : seul le premier violon chante, les autres instruments (second violon, alto et violoncelle) l’accompagnent de discrets pizzicati, c’est-à-dire de cordes pincées par les doigts des instrumentistes.
C’est une architecture classique qui se déploie dans un jeu de thèmes énoncés et repris selon un plan tripartite : une exposition avec deux thèmes, un bref développement et une réexposition, comme une « reprise » qui donne tout son sens au cœur du morceau, c’est-à-dire au pavillon central de la façade.
A la différence du langage parlé, la « reprise » n’est pas une inutile « redite » : elle est un écho, comme un approfondissement. Plus que cela, elle répond à une nécessité : en découvrant cette « reprise » nous prenons conscience que nous en avions besoin. La musique nous habite par cette incantation que produisent les « reprises ». Comme le dit le philosophe Vladimir Jankélévitch : « en musique et en poésie ce qui est dit reste à dire, à dire et inlassablement et inépuisablement à redire. »
N’en serait-il pas de même dans nos vies ? La « rentrée », la « reprise » ne serait-elles pas découvertes nouvelles, départ vers un inconnu, plutôt que simple retour ?
« Recommencer, c’est commencer, la deuxième fois étant aussi initiale que la première, et la réexposition aussi initiale que l’exposition. » V. Jankélévitch : La Musique et l’Ineffable.
Emmanuel Bellanger