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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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« Ô vous qui passez, regardez et voyez ! »

Publié le : 19 Mars 2018
Le 29 mars 1918, jour du Vendredi-Saint, une bombe tirée depuis la forêt de Saint-Gobain dans l’Aisne tombe sur l’église Saint-Gervais à Paris, tuant 91 personnes rassemblées pour l’office. La musique de François Couperin, né il y a 350 ans, organiste de cette paroisse, résonne d’une manière particulièrement profonde en ces jours anniversaire. Le texte des Lamentations, par lequel le prophète Jérémie pleure la destruction de Jérusalem, fait référence à un évènement passé mais, hélas, trouve encore aujourd’hui comme en 1918 un écho dans les évènements du monde.

Photographie de l'église Saint-Gervais (Paris) bombardée en 1918

C’est en 1715 que François Couperin publie ses très célèbres Leçons de Ténèbres qu’il nous présente ainsi : « Les premières et secondes leçons de chaque jour seront toujours à une voix et les troisièmes à deux ; ainsi deux voix suffiront pour les exécuter. » Le projet du compositeur est bien que ces textes puissent être chantés avec des moyens modestes. La profondeur expressive à laquelle cette musique nous conduit vient essentiellement de la vérité des sentiments et de la sincérité de la prière bien plus que d’une accumulation d’instruments et de polyphonies. Nous sommes avec ces Leçons de Ténèbres devant un chef-d’œuvre.

Les Leçons de Ténèbres se chantaient primitivement les jeudi, vendredi et samedi de la Semaine Sainte à la nuit tombée. Mais, l’heure n’étant pas favorable, elles ont été reportées à l’après-midi du jour précédent ; c’est ce qui explique que ces pages de Couperin soient destinées au mercredi-saint.

Rembrandt, Le prophète Jérémie se lamentant sur la ruine de Jérusalem - 1630 / CC Wikimedia Commons

Le titre de leçons de Ténèbres vient du fait que l’on éteignait un à un les cierges après le chant de chaque verset jusqu’à laisser l’église dans la pénombre : l’expérience de la nuit qui gagne progressivement permet au chrétien de ressentir la réalité de l’abandon du Christ au seuil de sa passion. Chaque verset est introduit pas une lettre de l’alphabet hébreux : jod, caph, lamed, mem…

Couperin n’utilise qu’une palette sonore extrêmement réduite : il s’agit d’un récitatif qui suit le texte pas à pas avec une subtilité de détails que peu de compositeurs ont atteinte. Le miracle de cette musique ne serait-il pas dans l’équilibre quasi miraculeux entre la grandeur et l’émotion, la solennité et l’expression ? La souplesse mélodique, la richesse des harmonies, la justesse de ton qui laisse sa place au sentiment pathétique sans qu’il envahisse et submerge l’œuvre, les ruptures heureuses des modes, tout cela au service du texte liturgique ! Ecoutez, par exemple, le passage du majeur au mineur sur les mots « ô vos omnes » et le retour au majeur sur la lettre « mem ».   

Voici le texte de la troisième leçon pour le mercredi saint à deux voix et la musique de François Couperin.

JOD. Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus : quia vidit gentes ingressas sanctuarium suum, de quibus praeceptas ne intrarent in ecclesiam tuam.
CAPH. Omnis populus ejus gemens et quaerens panem : dederunt pretiosa quaeque pro cibo ad refocillandam animam. Vide, Domine, et considera, quoniam facta sum vilis.
LAMED. O vos omnes, qui transitis per viam, attendite et videte si est dolor sicut dolor meus : quoniam vindemiavit me, ut locutus est Dominus in die irae fuoris sui.
MEM. De excelso misit ignem in ossibus meis et erudivit me : expandit rete pedibus meis, convertit me retrorsum : posuit me desolatam, tota die moerore confectam.
NUN. Vigilavit jugum iniquitatum mearum : in manu ejus convolutae sunt et impositae collo meo : infirmata est virtus mea : dedit me Dominus in manu de qua non potero surgere.
Jerusalem, Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum.
JOD. L’adversaire a fait main basse sur tous ses trésors : oui, elle a vu les païens entrer dans son sanctuaire, alors que tu leur avais ordonné :’’Vous n’entrerez pas dans mon assemblée’’.
CAPH. Son peuple tout entier gémit en quête de pain ; il troque ses trésors contre de la nourriture pour reprendre vie : Vois, Seigneur, comme je suis méprisée !
LAMED. Ô vous tous qui passez sur le chemin, regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur que j’endure, celle dont le Seigneur m’afflige, le jour de sa brûlante colère.
MEM. D’en haut il lance un feu dans mes os et les piétine ; il tend un filet sous mes pas, il me rejette en arrière ; il me livre à l’abandon, malade à longueur de jour.
NUN. Il attache de sa main le joug de mes péchés ; ils sont entrelacés et posés sur mon cou : ma force en est brisée ; le Seigneur me livre à des mains qui m’empêchent de me relever.
Jérusalem, Jérusalem, reviens vers le Seigneur ton Dieu.

 

Emmanuel Bellanger

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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