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Les malheurs de la guerre

Publié le : 11 Novembre 2013
En ces jours où nous venons de célébrer la mémoire des soldats tombés au cours de la première guerre mondiale, voici une œuvre qui peut sembler surprenante et même déplacée. C’est sans doute un privilège de l’art de nous conduire sur un chemin apparemment détourné, mais pour nous mener finalement au cœur même de la tourmente. Suggérer à qui sait entendre, voici comment Maurice Ravel évoque l’inadmissible de la violence dans son recueil Le Tombeau de Couperin.

Le Tombeau de Couperin est un recueil de six pièces pour piano composé en 1917 par Maurice Ravel (1875-1937). Dans l’esprit des suites pour clavecin que François Couperin (1668-1733) écrivit, qu’il appelait des Ordres, Ravel nous propose une musique d’apparence élégante, légère, bien dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’esprit français ». Les différents mouvements de ce recueil portent soit un titre purement musical, soit un titre de danse dont la musique a bien gardé le caractère : nous sont offerts successivement Prélude, Fugue, Forlane, Rigaudon, Menuet, Toccata.

Forlane et menuet sont des danses de Cour, le rigaudon était dansé par toutes les classes de la société du 18ème siècle. Voilà qui nous éloigne de la guerre ! Pourtant, dès le frontispice de sa partition manuscrite, Ravel nous alerte : attention, derrière la légèreté de la danse se cache la gravité de la vie et des évènements du monde.

La première page du recueil est un dessin de la main du compositeur lui-même : une urne funéraire posée sur un support horizontal orné d’une draperie qui tombe de chaque côté. Est-ce seulement en hommage à Couperin ou s’agit-il d’autre chose ? Comme toujours chez Ravel, la discrétion, la retenue, l’élégance laissent les choses se dire en toute pudeur. La musique elle-même va en dire un peu plus.

partitions, Le Tombeau de Couperin

Voici quelques indices pour mieux entendre cette admirable musique. A un Prélude tout en tourbillons succède une fugue grave, dialogue entre trois personnages en un jeu subtil de consonances et de dissonances, un jeu de rencontres ou de séparations jusqu’à l’accord final, dans un grand dépouillement. Puis vient la Forlane, une sorte de noble berceuse sur un rythme envoûtant de sicilienne, mais dont l’harmonie contredit le caractère : consonances, dissonances, tension permanente entre évidence rythmique et pénombre harmonique. Le Rigaudon contraste vigoureusement avec la Forlane : vigueur voire violence en particulier des ponctuations qui signalent d’un trait fortement marqué les étapes du discours musical. Le Menuet chante sa mélodie élégante, sans aspérités apparentes, tout en souplesse.

Pourtant attention : la Musette centrale trouble durement cette sérénité, jusqu’à la violence, comme un cri vite retenu : nous sommes chez Ravel ! Pas d’épanchements incontrôlés ! Ecoutez la manière dont ce menuet s’éteint dans une pénombre mystérieuse et quelque peu inquiétante. La Toccata finale conclut le recueil sur un rythme vigoureux qui soumet le pianiste à un traitement technique redoutable. Finalement que veut donc exprimer cette musique entre retenue pudique et vigueur douloureuse ?

Lorsque l’on sait que chacune de ces pages est dédiée par Maurice Ravel à un ami mort au cours de cette guerre, la retenue devient profondeur, l’élégance apparente devient souffrance devant l’inacceptable. L’urne funéraire qui orne la première page de la partition devient monument aux morts. Voici les noms des six amis de Ravel tués au combat, dont il a inscrit le nom en tête de chacun des mouvements : lieutenant Jacques Charlot, sous-lieutenant Jean Cruppi, lieutenant Gabriel Deluc, Pierre et Pascal Gaudin, Jean Dreyfus, capitaine Joseph de Marliave (mari de Marguerite Long).

Comment ne pas percevoir la dramatique souffrance d’un compositeur plongé dans la guerre dans cette musique apparemment si facile ? Lorsqu’on tue un être humain, c’est toujours un François Couperin que l’on raye de la vie. 
Ravel a lui-même orchestré cette Suite (sauf la Fugue et la Toccata)  pour l’orchestre des Concerts Pasdeloup.

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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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