Ecouter, entendre, comprendre, contempler
Publié le : 4 Avril 2016
Cette peinture de Luca Giordano n’est pas une photographie de la résurrection du Christ : elle n’a pas la prétention de représenter cet évènement mystérieux. Ce qui nous est donné à voir est au-delà du regard premier : la diagonale qui coupe le tableau en son milieu séparant les ténèbres du bas de la lumière du haut, la lourdeur immobile des soldats et l’envolée du Christ, le silence vide et le souffle qui emporte le Christ dans son relèvement, la lumière mystérieuse dont il rayonne, que les visages tournés vers la terre et les yeux fermés ne peuvent voir. A sa manière, cette peinture nous dit le mystère de Pâques. On n’est pas dans l’ordre de la description ou de l’ornementation, mais bien du discours : c’est dans cette même perspective que se place le travail de Nikolaus Harnoncourt sur la musique baroque.
Il n’a pas cherché à retrouver une « authenticité » de cette musique pour elle-même mais une lecture qui nous ouvre les oreilles pour que nous puissions l’entendre et la comprendre dans ce qu’elle a réellement à nous dire. Ce n’est pas un hasard si le premier livre d’Harnoncourt s’intitule : « Le discours musical ».
La musique n’est pas d’abord un ornement, une recherche de séduction, une manière de passer un moment agréable ; elle n’aurait pour résultat que de nous engourdir ou nous enfermer dans notre propre plaisir. Elle est bien plus que cela : elle est d’abord un discours. Nous sommes tellement habitués à être environnés de sons que nous n’entendons plus que des successions d’accords ou de mélodies agréables ou non. Harnoncourt nous rappelle que la musique baroque nous parle.
Ecoutez cet exemple du début d’un Concerto Brandebourgeois de Bach : non pas les thèmes mais les articulations, cette manière bien caractéristique dont on passe d’une note à l’autre. Ce qui compte ici, c’est le passage d’un son à l’autre, d’un thème à l’autre. L’architecture musicale se construit et se perçoit clairement.
La cantate BWV 4 de Jean-Sébastien Bach est écrite sur le choral de Pâques, œuvre de Martin Luther lui-même « Christ gisait dans les liens de la mort », ce choral paraphrasant dans sa première période la séquence pascale « Victimae paschali laudes » que voici :
Et voici le choral, c’est-à-dire le cantique sur lequel Bach va développer sa cantate :
Cette cantate est une suite de 7 variations sur ce cantique : chaque verset se termine par « alléluia ».
Le premier verset est chanté par la voix de soprano doublée d’un cornet.
Le deuxième évoque la mort vaincue chantée sur une figure descendante sur une basse obstinée.
Le troisième est rempli d’allégresse, assombri sur la deuxième phrase : « il ne reste rien de la mort ».
Le quatrième, cœur de la cantate, est chanté par la seule voix d’alto commentée par les autres voix sur un simple accompagnement instrumental.
Le cinquième, le plus grave de la cantate, évoque la mort vaincue.
Le sixième exprime la joie dans son rythme pointé et ses vocalises : « aussi célébrons-nous la grande fête dans l’allégresse du cœur. »
Le septième est une simple harmonisation du cantique.
Ecoutez comment Harnoncourt traite les articulations : c’est bien le discours musical que nous sommes invités à entendre pour entrer dans la contemplation du mystère pascal.
Finalement, et c’est le principale enseignement de Nikolaus Harnoncourt, la redécouverte de la musique ancienne n’a pas d’intérêt pour elle-même :
« il nous faut savoir ce que la musique veut dire pour comprendre ce que nous voulons dire par elle. »
Nikolaus Harnoncourt : « Le discours musical »