Claudio Monteverdi, une nouvelle lyrique
Publié le : 10 Juillet 2017
La « Selva morale e spirituale » ou « Forêt morale et spirituelle » de Claudio Monteverdi date de 1640 ou 1641 ; voici donc de la dernière publication du maître de Crémone. Il s’agit de la compilation de nombreuses compositions que Monteverdi a écrites pour la basilique Saint-Marc de Venise dont il était le maître de chapelle depuis 1613. Nous nous trouvons devant un testament à la fois spirituel et artistique : le compositeur y a groupé ce qu’il considérait comme ses meilleures productions, nourries des recherches qu’il a poursuivies au cours de sa vie de créateur.
J’ai choisi le motet « ut queant laxis » pour plusieurs raisons : la signification historique de ce texte et le traitement qu’en donne Monteverdi.
Un texte fondateur
Cette hymne liturgique pour la fête de Saint-Jean-Baptiste est une des sources fondatrices de notre manière d’écrire la musique : le musicien-pédagogue Guido d’Arezzo (992-1033) l’aurait utilisé pour désigner le nom des notes, ce qu’on appelle la solmisation. Chaque vers de cette hymne commence par une syllabe dont l’ensemble donnera notre gamme, et la musique de chaque vers commence par la note que désigne ladite syllabe.
UT queant laxis, REsonare fibris MIra gestorum FAmuli tuorum SOLve polluti LAbii reatum, Sancte Ioannes.
Pour qu’à gorge déployée tes serviteurs puissent chanter tes hauts faits, enlève la souillure de leurs lèvres impures, ô Saint-Jean.
Que serait devenue notre musique occidentale si on n’avait pas trouvé le moyen de la fixer sur le papier ?
Une page emblématique
Cette page de Monteverdi illustre parfaitement ce qu’il entend par « seconda prattica », c’est-à-dire une autre image de la musique : non plus une polyphonie où chaque chanteur se fond dans un ensemble, mais l’émergence du soliste qui, en manifestant ses sentiments, humanise la prière chantée et en révèle une toute autre expérience.
Monteverdi est contemporain de la naissance de l’opéra ; dans sa musique dite sacrée comme dans sa musique profane, le chant se libère et se déploie souplement, juste soutenu par une basse et quelques accords qu’on appelle le continuo.
Ce bref motet est écrit pour une voix de femme (à laquelle se joint une seconde voix pour le Gloria), accompagnée d’une basse de viole et de deux violons.
Chacune des strophes est ponctuée d’une courte musique instrumentale, la ritornella dont la fonction est bien exprimée par le terme : permettre le retour au commencement pour la strophe suivante.
Dernière remarque : on pourrait être surpris du ton apparemment léger et dansant de cette musique pourtant destinée à l’Eglise. Mais pourquoi la musique devrait trahir sa nature et se travestir sous prétexte qu’elle entre au sanctuaire ? C’est en tous cas ce que pensait Monteverdi.
Emmanuel Bellanger
Directeur du comité de rédaction de Narthex