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Chanter le Requiem

Publié le : 31 Octobre 2016
En 1986 – il y a juste 30 ans – mourait des suites d’un grave accident de la route le compositeur Maurice Duruflé (né en 1902). Au cours des années 1945/46, il y a 70 ans, il écrivait une de ses œuvres majeures : le Requiem pour chœurs, solistes et orchestre sur les thèmes de l’office grégorien. En ce temps de « commémoration des fidèles défunts » comme on disait jadis, nos oreilles sont particulièrement disposées à entendre cette musique qui ne ressemble à aucune autre.

La « messe des morts » est un cas particulier dans le répertoire grégorien, tant par sa forme que par son sujet. C’est pourquoi elle a inspiré de nombreux musiciens au point qu’elle est devenue une forme musicale en soi, une sorte de grande symphonie : le Requiem de Mozart en est l’exemple le plus célèbre. Mais le chrétien fervent qu’était Maurice Duruflé a cherché à traduire dans sa propre langue musicale cette musique en respectant son essence liturgique. Nous en entendrons deux extraits.

Le texte de l’Introït dit ceci :

« Donne leur, Seigneur, le repos éternel, et que sur eux luise à jamais ta lumière.
A toi sied la louange, ô Dieu, dans Sion ; en ton honneur on acquitte des vœux en Jérusalem : écoute ma prière, toi vers qui va tout être de chair.
»

La liturgie des morts est nourrie de ces deux images du repos et de la lumière. Elles viennent d’un écrit apocryphe (c’est-à-dire qui n’a pas été retenu dans les textes de la Bible) le 5ème livre d’Esdras :

« Attendez votre pasteur, il vous donnera le repos éternel ; car il est tout proche celui qui arrivera pour la fin du monde. Soyez prêts pour les récompenses du royaume, car une lumière brillera pour vous durant l’éternité du temps. »

Il semble que ce texte liturgique de l’introït apparaisse dès le 4ème siècle.
La forme musicale est un triptyque : une antienne suivie d’un verset du psaume 64 et conclue par la reprise de l’antienne.

Il est intéressant de comprendre comment Duruflé transfigure ce chant liturgique en une œuvre symphonique en respectant le plan ternaire et les thèmes grégoriens. Son Requiem commence par l’antienne Requiem aeternam donna eis, Domine traité en trois parties suivant le plan liturgique :

1° L’antienne est chantée par les voix d’hommes sur un accompagnement souple et discret des cordes et des vocalises légères des voix de femmes.

2° Le verset te decet hymnus Deus in Sion est chanté par les voix de femmes soutenues par l’orchestre.

3° C’est ici qu’on éprouve le pouvoir suggestif et mémoriel de la musique : l’antienne est reprise à l’orchestre par les bois sans que le texte soit prononcé. C’est inutile, il est inscrit dans les mémoires : la reprise de la mélodie transfigurée par l’orchestre rend le texte liturgique mystérieusement et profondément présent. Les voix jouent le rôle d’accompagnement que jouaient les cordes dans la première partie.

Mais la liturgie des défunts traduit aussi une autre réalité de l’expérience de la mort qui reste un drame. L’espérance chrétienne en la béatitude éternelle n’exclut pas la violence qu’est l’évènement de la mort.
Le Requiem de Maurice Duruflé se déroule entre ces deux pôles, entre lumière et ténèbres, comme le traduit par exemple l’offertoire Domine Jesu Christe qui dit ceci :

« Seigneur Jésus-Christ, Roi de gloire, délivre les âmes de tous les fidèles défunts du châtiment de l’enfer et du gouffre profond. Délivre-les de la gueule du lion ! Que l’abîme ne les engloutisse pas, qu’elles ne tombent point dans la nuit ! Mais que Saint-Michel, le porte-étendard, les introduise dans la lumière sainte que jadis tu as promise à Abraham et à sa postérité.»
L’image de la gueule du lion vient de la 1ère lettre de Saint-Pierre : « Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. »

Nous avons tous en mémoire l’image de Saint-Michel terrassant le dragon du mal.

Duruflé nous livre dans cette page sa nature romantique : le thème liturgique est suggéré à l’orchestre sous forme d’allusions mélodiques sur lesquelles se déploie une musique d’inspiration libre qui cherche à traduire les images du texte parfois jusqu’à la violence.

Duruflé nous a laissé un important témoignage sur son Requiem dont ces quelques réflexions :
« Depuis longtemps j’étais envoûté par la beauté des thèmes grégoriens de la messe des morts…
Il fallait interpréter le texte grégorien plutôt dans l’esprit que dans la lettre. Il fallait donc jouer avec ce texte, s’identifier à lui de manière à pouvoir l’abandonner plus ou moins, le modifier si nécessaire, en contracter la ligne ou au contraire l’amplifier… Quelquefois il fallait l’oublier totalement, en particulier dans certains développements suggérés par le texte latin (Domine Jesu Christe, par exemple)

C’est dans une version pour orgue et chant que nous écoutons cet offertoire.

Raphaël, Saint Michel terrassant le dragon, huile sur bois, 1503-1505, musée du Louvre
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Emmanuel Bellanger

Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

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