A propos de Rameau : musique et silence
Publié le : 25 Août 2014
« On peut craindre que nos oreilles n’aient perdu la faculté d’écouter avec une attention délicate cette musique qui s’interdit tout bruit disgracieux, mais réserve l’accueil d’une politesse charmante à ceux qui savent l’écouter. »
Voilà comment, en 1908, Claude Debussy nous invite à recevoir la musique de Jean-Philippe Rameau, compositeur que l’on était en train de redécouvrir après un long oubli. En effet, l’image était restée dans les têtes d’un théoricien plutôt que d’un musicien, avec ce que cela comporte de rigueur, de raideur et même de froideur. Mais l’oreille sensible de Claude Debussy avait bien perçu ce que cette musique comportait de finesse, de délicatesse, de transparence et d’équilibre. C’est ce qui l’avait incité à écrire quelques années auparavant – 1905 – un « Hommage à Rameau » dans son recueil Images pour piano.
D’évidence nous y retrouvons l’équilibre et l’élégance héritées de Rameau. Mais plus profondément nous est offerte avec cette page de Debussy une belle expérience de ce qu’est l’écoute musicale.
L’Hommage à Rameau est une sarabande. Il ne s’agit évidemment pas d’un pastiche ni même d’une évocation pittoresque du 18ème siècle, mais bien d’une création personnelle d’un Claude Debussy qui se place dans le sillage de Rameau sans rien renier de ce qu’il est lui-même.
La sarabande est une ancienne danse lente que l’on peut entendre comme un processionnal coupé de poses qui ponctuent le discours musical : nous entrons dans une architecture classiquement organisée en trois parties parfaitement équilibrées. Mais si nous accordons à cette musique « l’attention délicate » que souhaite le compositeur, nous y découvrons non seulement de belles arabesques mélodiques et des harmonies savoureuses, mais un jeu subtil entre son et silence où la densité n’est pas forcément du côté du son.
La manière dont le pianiste – ici d'Arturo Benedetti Michelangeli– vit les silences nous rappelle que la musique pourrait bien être fondamentalement une habitation du silence : prolongement du son jusqu’à son extinction et ouverture au son à venir. La musique ne cesse de sonner pour le pianiste, autant au moment où il joue que pendant les « silences ». Voir le mouvement de ses mains qui suivent le son finissant et anticipent les notes à jouer, ou son regard tout orienté vers l’écoute intérieure.
Le silence ouvre un espace où tout devient possible. N’en est-il pas de même en peinture ? Le cœur de ce tableau semble être cet espace central où, parce qu’on ne voit plus rien qu’une surface blanche, c’est la vision intérieure qui conduit notre regard au-delà de toute limite.
S’il n’y a pas d’écoute ou de regards intérieurs, quelque chose manque à l’expérience esthétique, au dialogue mystérieux qui s’instaure entre le créateur et le contemplateur. Le silence intérieur est le chemin par lequel nous acceptons de nous laisser habiter (envahir ?) par la musique et en même temps d’y entrer. Nous sommes à la fois le visiteur émerveillé qui découvre un bel édifice et cet édifice même qui se met à vibrer. N’est-ce pas un beau paradoxe de la musique ?