Le Récit du Pèlerin d’Ignace de Loyola, Chapitre V Premières études (1524-1527)

1/ L’écolier de Barcelone (Carême 1524-mars 1526)

Ignace de Loyola commence ses études à Barcelone et suit avec assiduité les cours de  grammaire de son maître pendant deux ans, première étape du trivium médiéval avec la rhétorique et la logique. Il se fixe des pénitences jusqu’à marcher pieds nus « à l’arrivée des froids ». Après ces deux années, on lui conseille de poursuivre ses études à Alcala.

2/ Apostolat et procès d’Alcala (mars 1526-juin 1527)

Arrivé à Alcala, Ignace mendie et vit d’aumônes, et devient même la risée du clergé. Cependant, le directeur de l’hôpital, apitoyé, lui offre une chambre et tout le nécessaire. Il étudie ainsi un an et demi à Alcala « la Logique de Soto, la Physique d’Albert et le Maître des Sentences ».

Ignace donne les Exercices Spirituels, prêche et soulage les pauvres avec les dons d’un riche imprimeur. Celui-ci prévient le Pèlerin que les Inquisiteurs de Tolède traitent Ignace de Loyola et ses compagnons d’Alumbrados (Illuminés). Une enquête détermine que sa prédication ne contient aucune hérésie. On demande seulement à Ignace et ses compagnons de porter une tenue d’étudiant. Il continue donc à prodiguer ses conseils spirituels jusqu’au jour où un alguazil le fait mettre en prison. Il y passe 42 jours. « Parmi toutes les personnes qui l’avaient pris pour guide, il y avait une dame et sa fille, veuves toutes deux ; la fille très jeune et fort jolie (…). Sans égard à leur noblesse, elles s’étaient rendues à pied à la Véronique de Jaén (où se trouvait le « voile de Véronique »). (On) pensa que c’était le prisonnier qui leur avait donné cette idée, et c’est pourquoi on le fit arrêter ». Pour sa défense, Ignace dira : « Je les ai toujours détournées de servir dans un hôpital (comme elles le souhaitaient), vu la jeunesse et la beauté de la fille ». Ignace est libéré, à condition de « ne plus parler des choses de la foi pendant quatre ans, le temps de s’instruire davantage », selon la sentence du vicaire général de l’archevêque de Tolède, Figueroa. Ignace ne comprend pas cette décision de lui fermer les portes de l’apostolat. Il va alors voir l’archevêque de Tolède, qui l’aide à se rendre à Salamanque.

3/ Les prisons de Salamanque (juillet-septembre 1527)

A peine arrivé à Salamanque, il subit un interrogatoire des Dominicains sur le contenu de sa prédication. Il refuse de se laisser entraîner par des questions-pièges sur le rôle du Saint-Esprit. Il est emprisonné vingt deux jours avec son compagnon Calixte de Sa: « On les attacha tous deux à une même chaîne, chacun par un pied ». Un bachelier, Frias, vicaire de l’archevêque de Salamanque, vient interroger Ignace, qui lui remet ses Exercices Spirituels. C’est le premier témoignage sur cet ouvrage comme œuvre écrite. Entouré de trois juges, Frias le questionne sur la Trinité, le Saint-Sacrement. Tous les captifs s’évadent de prison, sauf Ignace et Calixte, ce qui « édifia toute la ville ». La sentence finale stipule qu’il n’y a « aucune erreur ni dans leur vie ni dans leur doctrine et qu’ils pouvaient donc continuer à vivre comme auparavant et à faire le catéchisme. Mais interdiction leur était faite de déterminer si tel acte est un péché mortel ou véniel ». Estimant que c’était lui fermer les portes de l’apostolat, Ignace décide de poursuivre ses études à Paris : « Il convint avec ses compagnons que ceux-ci l’attendraient sur place (à Salamanque) ». Il part seul pour la France, « emportant quelques livres sur un petit âne ».

Pourquoi ce double procès d’Ignace de Loyola à Alcala et Salamanque ?

Le premier procès en 1526, à Alcala, porte sur des manifestations de mysticisme féminin dans l’entourage d’Ignace de Loyola. Les autorités ecclésiastiques d’Alcala ont, en effet, été alertées par des phénomènes d’évanouissements et d’hystéries  de dévotes. On soupçonne ces femmes de faire partie des Alumbrados ou Illuminés. Cette secte se développe en Espagne entre 1517 et 1524. La quête de perfection, chez eux, consiste en un anéantissement de la volonté propre devant la Volonté divine, en une totale passivité. L’extase devient le point culminant de la vie religieuse par le contact direct de l’âme avec Dieu. D’où le sentiment de ces Illuminés que la forme institutionnelle de l’Eglise, les sacrements et les œuvres de Charité sont inutiles. Ignace niera avoir été en contact avec eux. En 1525, un édit les dénonce comme hérétiques, les reliant à la réforme protestante…

Le second procès en 1527, à Salamanque, porte sur des points fondamentaux de la doctrine, « aujourd’hui où courent tant d’erreurs d’Erasme et de bien d’autres ». Les questions posées par le tribunal de l’Inquisition mettent l’accent sur la Trinité, le Saint-Sacrement, la distinction entre péchés mortels et véniels. Ce seront précisément les affirmations du Concile de Trente (1545-1562) avec la pratique des sept sacrements, la clarification de la doctrine, la croyance à la liberté dans les œuvres de salut, la présence réelle de Dieu dans l'Eucharistie. Le mouvement de la Contre Réforme était né, dont les Jésuites allaient devenir les ardents défenseurs.

Martine Patrini-Poli

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