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Le nocturne littéraire : de la Nuit obscure de Jean de la Croix à la Nuit mystique de Pascal

Publié le : 7 Janvier 2014
Mémorial de Blaise Pascal
L'an de grâce 1654,
Lundi 23 novembre, jour de Saint Clément, pape et martyr, et autres au martyrologe,
Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres,
Depuis environ dix heures et demie du soir jusqu'à environ minuit et demie.

André MANTEGNA, Le Christ priant au Jardin des Oliviers, huile sur bois 66X88 cm, 1459, Musée des Beaux Arts, Tours
 

FEU

« Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob »,1
non des philosophes et des savants.

Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix.2
Dieu de Jésus-Christ,

Deum meum et Deum vestrum.3
« Ton Dieu sera mon Dieu » 4

Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l'Evangile.
Grandeur de l'âme humaine

 « Père juste, le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu. » 5
              Joie, Joie, Joie, pleurs de joie.
Je m’en suis séparé.

Dereliquerunt me fontem aquae vivae. 6

« Mon Dieu me quitterez-vous? » 7

Que je n'en sois pas séparé éternellement.

« Cette est la vie éternelle, qu'ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.»8

               Jésus-Christ
               Jésus-Christ

Je m'en suis séparé. Je l’ai fui, renoncé, crucifié.

Que je n'en sois jamais séparé.

Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l'Evangile.

           Renonciation totale et douce. Soumission totale et douce.

Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.

Eternellement en joie pour un jour d'exercice sur la terre.

Non obliviscar sermones tuos.9 Amen.


1Exode 3,6/ 2 Jean XX, 17 : « (Je monte vers) mon Dieu et votre Dieu. »/ 3 Ruth I, 16/ 4 Jean XVII, 25/      5 Jérémie II, 13 : « Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive. » / 6 Matthieu XXVII, 46/ 7 Jean XVII, 3/ 8 Psaume CXVIII, 16 : « Je n’oublierai pas tes paroles. »

Ce texte, sous forme de parchemin plié manuscrit, a été retrouvé cousu dans la doublure du pourpoint de Blaise Pascal. Il relate la nuit mystique que Pascal a connue le 23 novembre 1654. Ce qui frappe, à première vue, est la typographie des termes, bouleversée par l’expérience vécue. FEU est écrit en majuscules et domine seul au milieu de la feuille. C’est la rencontre fulgurante de Dieu qui se révèle à l’âme et ôte tout doute intellectuel et toute inquiétude de l’esprit : « Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix. »


Les mots essentiels sont alors alignés, en retrait par rapport au reste du texte:

Oubli du monde et de tout hormis Dieu.

Joie, Joie, Joie, pleurs de joie.

Jésus-Christ

Jésus-Christ

Renonciation totale et douce.

L’essentiel est là, ponctué de citations bibliques.

Dans cette méditation, Pascal chemine de l’Ancien au Nouveau Testament, du « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » au Dieu de Jésus-Christ. Il désigne ainsi le foyer d’où tout rayonne. La joie vient du sentiment de plénitude de vie divine : « Joie, Joie, Joie, pleurs de joie. »

C’est aussi le sentiment douloureux pour le disciple d’un monde vide de Dieu : « Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais je t’ai connu », référence à la prière sacerdotale du Christ à son Père (Jean 17,25). Cette humanité qui délaisse Dieu montre la misère de la condition humaine. Au-delà de son passé peccamineux, évoqué à deux reprises, l’âme remonte ainsi à l’origine de l’humanité marquée par le péché originel:

Je m’en suis séparé.

Je m’en suis séparé. Je l’ai fui, renoncé, crucifié.

Deux fois aussi, il forme le souhait que son vœu soit comblé :

Que je n’en sois pas séparé éternellement.

Que je n’en sois jamais séparé !

Son désir d’union à Dieu porte sur la vie éternelle et sur toute la durée de la vie terrestre.
On est frappé par une autre répétition :

Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Evangile.

Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Evangile.

Au cours de cette expérience, le philosophe prend conscience que « trouver Dieu » n’est pas le terme de la quête, mais bien le commencement d’une nouvelle vie. « Conserver Dieu » implique la grâce divine qui œuvre de concert avec la nature humaine. En effet l’homme, par sa liberté, a « la double capacité de recevoir et de perdre la grâce. » La crainte de perdre la grâce demeure la grande angoisse de Pascal pour l’avenir.

Cependant, c’est dans le passé de pécheur dont se découvre la signification miséricordieuse, que l’on va puiser la délectation présente et l’Espérance pour l’avenir. C’est pourquoi le Mémorial s’achève sur ces mots apaisés de conversion sans partage: « Renonciation totale et douce. »

Les thèmes de la Nuit mystique de Pascal évoquent ceux de Jean de la Croix : une révélation divine fulgurante qui s’exprime par l’image du feu, un sentiment de plénitude de joie d’avoir trouvé Dieu, le sens du péché et de la Miséricorde divine, le renoncement au monde, une connaissance par une Révélation qui dépasse toute forme d’approche intellectuelle, un profond sens doctrinal et une référence fréquente à l’Ecriture, une tristesse devant le délaissement de Dieu par l’humanité et une ouverture à l’Espérance.

 

L’ouvrage d’André Bord, paru aux éditions Beauchesne en 1987, « Pascal et Jean de la Croix », confirme la filiation spirituelle entre le poète et le philosophe.

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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