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Le bestiaire biblique du Livre de Lamentation de Grégoire de Narek

Publié le : 7 Avril 2016
La symbolique animale est présente dans toutes les civilisations, mais l’interprétation des ces figures animales peut différer selon les cultures. Dans la Bible, quelques animaux vont prendre une valeur toute particulière. Par une série d’antithèses, Grigor nous présente une foule mêlée d’animaux innocents ou nuisibles, à l’image des saints ou des pécheurs qui se côtoient. Personne n’est assuré de son salut, c’est pourquoi la prière des uns pour les autres prélude à la communion des saints. Contraste de couleurs entre les « noirs corbeaux » et les « taches blanches » des colombes. Contraste entre l’impétuosité des chevaux ou la férocité des chiens et les mœurs paisibles des brebis ou le sens du sacrifice des agneaux :

« Mais si c’est toi qui les as tous créés et si tous t’appartiennent,

Tu auras compassion d’eux tous, unique miséricordieux (…)

C’est pourquoi l’on peut voir parmi les noirs corbeaux, comme des traces blanches, les troupes de colombes ;

Dans les rangs des étalons impétueux et lascifs, des brebis de moeurs plus paisibles ;

Dans la foule des chiens féroces, des agneaux prêts au sacrifice.

Clémence et cruauté, perfection et déficience,

Humilité et hauteur, vérité et mensonge,

Sincérité et perfidie, pureté et dissimulation,

Bonté et malice, honnêteté et libertinage,

Miséricorde et absence de pitié, repentir et refus d’espoir,

Douceur et colère, paix et inimitié (…) » LL, 31,10-20

Bas-relief du monastère de Geghard, Arménie, mausolée de la famille Prochian  (1283): un bœuf tient en laisse deux lions affrontés, au-dessus d’un aigle enserrant un agneau, symbole de l’Ascension.

L’image biblique de l’agneau de l’holocauste des Juifs, de celui des prophètes introduit au thème de l’Agneau pascal, du sacrifice du Christ, gage de sa Résurrection pour le salut de l’humanité toute entière :

« Lui-même s’en vint, de son plein gré, pour mourir sur la croix,

Comme un agneau sans tache mené à la boucherie,

Et, par la force de son libre arbitre, ménagea le salut de ses créatures (…) » LL34, 6

A l’opposé, toutes les forces du mal sont symbolisées par des animaux rampants ou répugnants :

« Car toutes ces légions du mal, ces forces de l’Accusateur,

Il ne leur faut qu’une larme roulant de nos paupières,

Alors, tels des vers grouillants sortis des miasmes de la terre, qui rampent faiblement sur leurs mille pattes

Dès que tombe sur eux une gouttelette d’huile ou un soupçon de drogue meurtrière,

Les voici à l’instant desséchées. » LL7,  1

Il restait alors, en Arménie, un vieux fonds de superstition populaire et de zoroastrisme, qui opposait, dans une vision manichéenne, les ténèbres des forces obscures à la Lumière divine. On imagine « la férocité de ces loups d’Arabie, avec  leur marche torve et leurs noires couleurs. »

Cependant, Grégoire de Narek va christianiser et intérioriser ces images. Une seule larme de contrition suffit à dessécher les armées du mal, ces animaux épris de bassesse, qui entraînent l’âme dans la fosse profonde de la perdition :


« Des fléaux de fléaux, mortels et corrupteurs, le ver, la chenille

Et autres insectes voraces rongent la fleur de mon âme (…)

Tous ces maux je les ai moi-même implantés en moi.» LL21, 2

Pour rabattre l’orgueil humain, il suffit d’évoquer la moindre créature animale qui terrifie l’homme :

« Si je me tapis, caché dans un coin, dans la cellule d’une cave,

Le répugnant spectacle d’exécrables crapauds me glacera de dégoût.

Si je trouve un endroit pour séjourner aux champs,

Des armées de taons m’enveloppent à la volée (…) » LL68, 5

Le péché défigure le visage de l’homme et taraude la conscience :

«Comment oser encore me donner le nom d’homme ? On me compte déjà comme brute.

Comment oser encore m’appeler raisonnable ? Ma folie m’associe aux bêtes sans raison (…)

Comme la laine par le ver, le bois par la vermine,

Je me ronge, d’après le sage, au tourment de mon cœur (…)

Ainsi donne-moi l’espoir de ton pardon, ô refuge de vie.» LL21, 4-5

Les « porcs sauvages », symboles de débauche et de saleté,  évoquent plusieurs scènes évangéliques : la guérison de ce malade par le Christ, qui envoie les forces du mal dans un troupeau de porcs qui se précipite dans les abysses de la mer. Le Fils Prodigue, dans son désir d’autonomie absolue, en est réduit à garder des porcs sur une terre étrangère. L’orgueil de l’homme, à la source du péché, se manifeste par son refus d’entrer en dialogue avec son Créateur. Il est comparable à toutes sortes de quadrupèdes rebelles:

« Quoique doué de parole, je suis comme un coursier rétif au mors,

Rompant sa bride, les rênes sur le cou,

Une fieffée bourrique, indressable et sauvage,

Une génisse impétueuse, indocile, intraitable. » LL22, 2

Cependant, le salut de Daniel de la fosse des lions témoigne de la puissance salvatrice de la prière, au seuil de la mort :

« Puissé-je, aidé par toi, revenir en arrière du seuil même de l’enfer (…)

Pour n’être pas la proie de la portée des lions,

Qui me demandent à toi pour nourriture

Afin de me broyer sous leurs crocs monstrueux,

Afin de m’engloutir au ventre de la mort. » LL79, 5

Daniel dans la fosse aux lions, bas-relief du monastère d’Alt’amar, Turquie, Arménie historique
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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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