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La poésie pastorale : « Le Pastoureau » de Jean de la Croix

Publié le : 16 Juillet 2013
Aujourd'hui, Martine Petrini-Poli nous emmène au coeur même de la poésie pastorale.

La poésie pastorale, qui décrit la vie de bergers dans un cadre champêtre, hérite d’une longue tradition littéraire avec les Idylles de Théocrite et les Eglogues de Virgile dans l’Antiquité. L’italien Sannazaro compose le poème Arcadia en 1502, tandis que l’espagnol Jorge de Montemayor évoque en 1559 dans son roman pastoral, Diana, les bergers Sirène et Sylvain éconduits par la belle Diane. L’églogue est une joute poétique entre bergers sur l’amour et ses méfaits. Une des églogues du poète espagnol Garcilaso de Vega a été reprise « en style divin » par Boscan. A son tour, Jean de la Croix réalise la fusion du thème mondain et précieux de la pastorale avec la tradition biblique (Epouse infidèle de l’Ancien Testament et Bon Pasteur). Le poème sur le « Pastoureau », composé entre 1582 et 1584, porte le titre d’Autres chansons en style divin sur le Christ et sur l’âme. L’amour du jeune berger est bafoué par la « belle bergère ». Il pleure non de la souffrance d’aimer, mais du délaissement de son amour :

Un pastoureau est en peine, esseulé,
Etranger au plaisir, à l’allégresse ;
De sa bergère il se souvient sans cesse,
Le cœur par son amour tout déchiré.

Point ne pleure que l’amour l’ait blessé,
D’être en peine là n’est pas sa douleur ;
Bien que son mal lui meurtrisse le cœur,
Il pleure à la pensée d’être oublié.

Car rien qu’à la pensée d’être oublié,
En grand peine, de sa belle bergère,
Se laisse blesser en terre étrangère,
Le cœur par son amour tout déchiré.

Et le pastoureau crie : infortuné
Celui qui à l’amour porte l’absence
Et ne veut pas jouir de ma présence,
Le cœur par son amour tout déchiré.

Et puis longtemps après il est monté
En haut d’un arbre où, ses beaux bras ouverts,
Mort il est demeuré pendu en l’air,
Le cœur par son amour tout déchiré.

Ce poème de 5 quatrains comporte un refrain au ton élégiaque, « le cœur par son amour tout déchiré », présent à la finale de chaque strophe, sauf dans la 2ème.  Dans ce quatrain, le dernier vers est repris au vers suivant : « à la pensée d’être oublié. » L ‘essence des canciones  (chansons) est de dire l’Amour. C’est le thème de la plainte amoureuse du berger délaissé, sans détail bucolique, si ce n’est celui de « monter en haut d’un arbre ». Le poème se clôt apparemment sur une sorte de suicide d’amour, sujet favori de la pastorale : « mort il est demeuré pendu en l’air ». On songe à l’Astrée d’Honoré d’Urfé, où le héros Céladon, un siècle plus tard, se jette dans le Lignon pour l’amour de sa belle.

 

Tapisserie de Bruges, le Saut de Céladon , vers 1640,  laine et soie, collection de la Bastie d’Urfé, d’après le roman pastoral  L’Astrée (I,1) d’Honoré d’Urfé, Conseil général de Loire, Photo : Nikole CG 42.

 

Cependant le titre de la Chanson de Jean de la Croix, « en style divin », nous oriente vers une nouvelle lecture. D’ailleurs le choix du vers est celui de l’hendécasyllabe qui confère à la Chanson un caractère grave, propre à évoquer un sentiment amoureux noble et grand. Ce cœur déchiré d’amour est celui du Christ pour chaque âme humaine et pour toute l’humanité. La pastorale chante ici un éden perdu. Ce n’est pas une églogue, mais une Chanson sur le Christ et sur l’âme, où se succèdent, au gré des quatrains, les sentiments du Bon Pasteur vis-à-vis de chaque homme : la plainte douloureuse de ne pas être aimé (I), l’oubli de Dieu par l’humanité (II), la venue miséricordieuse du Christ « en terre étrangère » (III), le cri compatissant vers « l’infortuné « desdichado » qui ne veut pas jouir de sa présence » (IV), la mort d’amour sur la Croix (V) avec le beau symbolisme de l’arbre devenu Croix salvatrice. Dans le tableau de Poussin, les Bergers d’Arcadie déplorent cette Arcadie endeuillée de l’Antiquité païenne ; chez Jean de la Croix, les « beaux bras ouverts » du Pastoureau, « le cœur par amour tout déchiré » sont le gage de la Victoire sur la Mort.  Le poète-pasteur vibre à l’unisson de la souffrance du Pastoureau, car l’Amour n’est pas aimé.

 

Nicolas POUSSIN, Les Bergers d’Arcadie -1638-1640-, Huile sur toile 85X121 cm, Musée du Louvre.  Ce tableau est  un « memento mori », « souviens-toi que tu es destiné à mourir » : les bergers déchiffrent l’épitaphe « Et in Arcadia ego » qui signifie « Même en Arcadie (moi, la Mort) j’existe » © Martine Petrini-poli
 

Martine Petrini-Poli

16 juillet 2013

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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