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L’image de l’eau dans "Chant de l’âme" de Jean de la Croix

Publié le : 13 Août 2013
Dans ce nouveau billet Martine Petrini-Poli nous dévoile l’image de l’eau dans "Chant de l’âme" qui se réjouit de connaître Dieu par la foi de Jean de la Croix.

LE BERNIN, Fontaine des quatre fleuves, Statue de Rio de la Plata, Place Navona, Rome - Source : creative commons.

Dans la Bible, la métaphore de l’eau tient une place centrale : dès la Genèse, « l’esprit de Dieu planait sur les eaux » ; au cours de l’Exode, Moïse, sur l’ordre de Yahvé, fait passer la mer à son peuple, puis jaillir l’eau du rocher. Dans l’évangile de Jean, Jésus annonce sa mort par les écritures : « de son sein couleront des fleuves d’eau vive », allusion à l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui.
L’image de « l’eau vive » dans le poème de Jean de la Croix, Chant de l’âme, a la majesté biblique d’un fleuve aux puissants courants qui baignent l’univers entier :

Je sais bien la source qui coule et fuit,
Malgré la nuit.

Cette source éternelle est hors de vue,
Moi je sais bien là où est sa venue,
Malgré la nuit.

L’origine n’en sais, car n’en a point,
Mais je sais que toute origine en vient,
Malgré la nuit.

Je sais qu’il n’est nulle chose si belle
Et que cieux et terre boivent en elle,
Malgré la nuit.

De fond je sais qu’on n’en peut découvrir
Et que nul à gué ne peut la franchir,
Malgré la nuit.

Sa lumière jamais n’est obscurcie
Et je sais que tout éclat en surgit,
Malgré la nuit.

Je sais qu’ils sont si puissants ses courants,
Qu’ils baignent tout, l’enfer, les cieux, les gens,
Malgré la nuit.

 

LE BERNIN, Fontaine des quatre fleuves, Statue du Nil, Place Navona, Rome - Source : creative commons.

Issu de cette source le courant
Est si vaste, je le sais, si puissant,
Malgré la nuit.

Le courant qui de ces deux-là procède
Aucune, je le sais, ne le précède,
Malgré la nuit.

Cette éternelle source, elle est enfouie
En ce pain vif pour nous donner la vie,
Malgré la nuit.

C’est là qu’on appelle les créatures
Qui boivent de cette eau, même en l’obscur,
Malgré la nuit.

Cette source vive que je désire,
C’est de ce pain de vie que je la tire,
Malgré la nuit.

Cette pièce, composée dans la prison de Tolède en 1578, est un villancico, c’est-à-dire un poème qui débute par une strophe - ici un distique, formé du grand mètre italien classique, l’hendécasyllabe, et d’un refrain bref et lyrique de cinq vers, repris à la fin de chacun des onze tercets à rimes suivies : « malgré la nuit ». Le poème est bâti sur la distinction entre le savoir doctrinal « saber por doctrina » et la connaissance par la foi « ver por fe ». Ainsi la structure du poème est volontairement déséquilibré : la répétition litanique à dix reprises de « sé yo » (je sais bien) ou « sé que » (je sais que) occupe les 9 premières strophes tandis que la vision par la foi se concentre dans les trois dernières. La transition s’opère autour de l’expression « etrena fonte esta escondida »  (cette source éternelle est scellée) des strophes 2 et 10, citation du Cantique des Cantiques 4, 12. La méditation est ainsi centrée sur la double métaphore de la source et de la nuit qui conduit de la contemplation trinitaire au Mystère eucharistique.

Le premier mouvement de ce poème sacré est en effet une méditation sur le Mystère de la Trinité. On trouve d’ailleurs chez les auteurs spirituels toute une série de métaphores et de comparaisons qui, depuis des siècles, sont devenues des images communes de la théologie. Ainsi l’image de la source appliquée à Dieu se trouve dans la patristique grecque : la personne du Père est source de toute la Trinité, mais « l’origine n’en sais, car n’en a point ». Dieu renferme l’essence divine qu’Il communique au Fils et par le Fils au Saint-Esprit en un jaillissement perpétuel :

« Le courant qui de ces deux-là procède
Aucune, je le sais, ne le précède,
Malgré la nuit. »

Les fleuves symbolisent ainsi les trois personnes divines, dont la source est le Père : « que bien sé yo » (« je sais bien la source »). Les caractéristiques de cette source sont les attributs-mêmes de Dieu : elle coule, elle est éternelle, hors de vue, d’une beauté infinie, abondante, insondable, infranchissable, lumineuse. Puissante, elle crée et irrigue tout l’univers, « enfer et cieux ».


Mais où est celée cette source ? C’est la révélation des trois dernières strophes du poème : cette source si vaste se concentre dans le Mystère eucharistique. Un grand fleuve de vie descend ainsi du Père dans l’Hostie, corps glorieux du Christ ressuscité. «Enfouie en ce pain vif  pour nous donner la vie », « elle est source vive », objet du désir profond. A la dernière strophe « aquesta eterna fonte» devient « aquesta viva fonte ». Cette source de vie abreuve à satiété. Tout cela se révèle dans l’obscurité de la Foi, ce que rappelle douloureusement le refrain du poème « malgré la nuit » à la fin de chaque strophe.

 

Martine Petrini-Poli

13 août 2013

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Mots-clés associés :
GIVEL brice
GIVEL brice a écrit :
05/03/2019 18:52

la photo ne représente pas le Nil, car l'allégorie se voile la face, car à l'époque du Bernin on ne connaissait pas ses sources.

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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