L’écriture du Livre de la vie de Sainte Thérèse d'Avila
Publié le : 12 Mars 2014Les circonstances de composition et de publication
On demande à Thérèse d'Avila de diviser, en 1565, son récit en quarante chapitres en y ajoutant des épigraphes. Elle ne parvient qu’au bout de trois ans, en 1568, à soumettre son texte à saint Jean d’Avila, grand ascète, réputé en théologie mystique, qui l’approuve. Plusieurs copies circulent. Le texte parvient à l’inquisiteur Francisco de Soto, qui s’en remet à l’avis d’un théologien réputé, le Père Banez, qui rédige un rapport favorable. Le manuscrit est récupéré, après sa mort, par Anne de Jésus, prieure des carmélites déchaussées de Grenade, et imprimé en 1588 à Salamanque par Frère Luis de Leon, qui ajoute un titre, puis déposé à la Bibliothèque royale du Palais de l’Escurial où il demeure. Nous nous référons à la publication de 2012 aux éditions de la Pléiade, dirigée par Jean Canavaggio, Thérèse d’Avila Jean de la Croix Œuvres.
Une œuvre de commande
Le commanditaire et destinataire du manuscrit de Thérèse d’Avila qui nous reste, est le Père Garcia de Toledo, un de ses confesseurs. Le prologue précise : « …on m’a donné ordre et ample permission de rapporter par écrit le mode d’oraison et les faveurs que le Seigneur m’a accordées… ». Le récit de vie est ensuite ponctué de l’appellation répétée de « mon père ». Cependant on sent une certaine liberté de ton. Elle conseille au plan spirituel celui qui la dirige. Elle se plaint, dès le prologue et à plusieurs reprises (VI, 8), de ne pouvoir rentrer dans les détails des faveurs que Dieu lui a faites : « …j’aurais voulu qu’on me donne (permission) pour déclarer dans tous les détails et clairement mes grands péchés et ma triste vie. J’en aurai eu grand réconfort ; mais, loin d’y consentir, on m’a lié les mains sur ce point. » Suivre son sujet est, pour elle, un effort contraignant, mais elle s’efforce de composer son ouvrage le plus clairement possible, malgré des conditions d’écriture difficiles :
« Le peu de temps dont je dispose ne me favorise guère ; il faut donc que sa Majesté s’en charge ; je dois suivre la vie de ma communauté et m’occuper de bien d’autres choses, car je me trouve dans un couvent que l’on vient de fonder (…) ; et j’écris donc sans aucun ordre, à mes moments perdus. » (XIV, 8)
Un écrit structuré
On peut discerner, cependant, cinq parties dans cette œuvre, où alternent narration et exposé didactique.
Chapitre I à IX Récit de sa vie (enfance, adolescence et premières années au couvent des carmélites de l’Incarnation à Avila).
Chapitre X à XXII Traité sur l’oraison (allégorie du jardin irrigué pour qualifier les quatre degrés d’oraison).
Chapitre XXIII à XXXI : « Je veux maintenant revenir là où j’ai laissé le récit de ma vie (…) A partir d’ici, c’est un nouveau livre, je veux dire une nouvelle vie. Jusqu’ici c’était la mienne ; mais celle que j’ai vécue depuis que j’ai commencé à expliquer ces questions d’oraison, c’est Dieu qui la vivait en moi, m’a-t-il semblé… » (XXIII, 1). C’est le récit de ses extases et ravissements.
Chapitre XXXII à XXXVI Récit de la fondation du monastère Saint Joseph d’Avila en 1562.
Chapitre XXXVII à XL Des effets des faveurs divines.
Une écriture inspirée d’une expérience ineffable
« Plaise à sa Majesté de me donner la grâce de bien faire comprendre cela. » (XV, 2)
Toute la difficulté d’une entreprise d’autobiographie tient au regard rétrospectif porté sur des faits passés: dans le Livre de la vie, les souvenirs lointains de l’enfance et de l’adolescence, mêlés au récit d’expériences récentes, sont évoqués par un narrateur qui a atteint l’âge de la maturité et qui y discerne un cheminement spirituel. Il s’opère ainsi une relecture de tous les évènements de la vie. En outre, dans une autobiographie spirituelle, -et a fortiori mystique-, le narrateur nous livre la part la plus intime de lui-même, qui « ne se conçoit pas hors de ce regard divin qui fonde le sujet, le sonde dans son intimité, ni hors de cette Parole qui appelle le dialogue direct avec elle. » On retrouve le même paradoxe que celui de l’écriture mystique de Jean de la Croix : « Venons-en maintenant à ce que l’âme éprouve intérieurement. Que celui qui le sait le dise, car on ne peut le comprendre et d’autant moins le dire ! » (XVIII, 13)
C’est pourquoi elle considère ce don de l’écriture comme une grâce et discerne avec beaucoup de finesse trois étapes dans l’élaboration de l’œuvre :
« …une première faveur est de recevoir cette faveur du Seigneur, une autre de comprendre en quoi consistent cette faveur et cette grâce, et une autre, encore, de savoir en parler et de donner à entendre ce qui en est. » (XVII, 5)