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Images baroques chez Jean de la Croix

Publié le : 10 Octobre 2013
Nous avons vu dans un article la notion platonicienne du nécessaire dépassement des apparences trompeuses et du détachement des biens illusoires de ce monde pour tendre vers un au-delà, où l’homme sera enfin pleinement lui-même. Ce sera la thématique centrale de l’œuvre de Calderon, en particulier « La Vie est un songe » et de toute la littérature de l’époque baroque.

 Le baroque (de l’espagnol « barocu » perle irrégulière) est un mouvement artistique de la Contre Réforme, qui naît en Italie, à Rome, au XVIème siècle, sous l’influence des Jésuites, et qui cherche à toucher la sensibilité du fidèle, en réaction à l’austérité protestante. L’église du Gésu à Rome (1568) de Jacob Barozzi sert de modèle architectural qui se répandra en Europe et jusqu’en Amérique du sud. En littérature, le baroque exalte mouvement, illusion, démesure, sentiment religieux exacerbé, éclatement des limites spatio-temporelles…

On trouve dans les poèmes de Jean de la Croix, à la vocation mystique exceptionnelle, des thématiques qui annoncent le courant baroque : le clair-obscur, l’épreuve de la nuit et la révélation de la lumière, le renoncement à soi-même et le dévoilement de l’ineffable, le mourir de ne pas mourir, la volupté de l’extase, les images de la mobilité (flamme vive, eau jaillissante, grotte obscure…). L’hyperbole et l’antithèse sont les figures de style privilégiées de ses poèmes.


Le tercet du poème de Jean de la Croix Glose en style divin, avec ses hyperboles, son jeu d’antithèses de clair-obscur et l’image du feu, rassemble les thèmes de l’esthétique baroque :


Sans appui et avec appui,
Sans lumière en l’obscur vivant,
Tout entier me vais consumant.


De même les Couplets de l’âme qui souffre pour voir Dieu, composés d’un tercet et de huit strophes, comportent un refrain formé d’une antithèse, qui révèle l’essence du poème : « mourir de ne pas mourir ». Cette formule, déjà présente dans les écrits de Thérèse d’Avila, exprime la tension entre le désir d’une vie pleine en Dieu et le souhait de quitter la vie présente devenue comme une mort en son absence. Si la vie plénière est dans l’au-delà, dans ce « Royaume qui n’est pas de ce monde », rester ici-bas suscite l’impatience du mystique, qui aspire à retrouver Dieu, dans la pleine communion de la contemplation béatifique. Ce thème de l’amour impatient est très présent chez Jean de la Croix :


Couplets de l’âme qui souffre pour voir Dieu
Je suis vivant sans vivre en moi
Et si puissant est mon désir
Que je meurs de ne pas mourir.

En moi je ne vis plus déjà
Et sans Dieu vivre je ne puis,
Car sans lui et sans moi je suis ;
Quel sens aura cette vie-là ?
Mille morts pour moi deviendra,
Car vivre même est mon désir
En mourant de ne pas mourir.

Vivre cette vie-là pour moi,
C’est la vie me voir interdire,
C’est vivre en continuel mourir
Avant que de vivre avec toi ;
Entends mon Dieu ce que je dis :
De cette vie n’ai point désir
Car je meurs de ne pas mourir.

Me retrouvant absent de toi,
Quelle vie puis-je avoir encore,
Sinon endurer une mort
La plus douloureuse qui soit ?
Miséricorde j’ai de moi
Tant je m’obstine en mon désir
Que je meurs de ne pas mourir.

Le poisson qui est sur le sable
N’est pas tant de secours privé,
Car, dans cette mort endurée,
La mort lui devient secourable ;
Peut-il y avoir mort semblable
A ma pauvre vie de martyr
Car vivre plus, c’est plus mourir ?

Lorsque je pense m’apaiser
De te voir dans le Sacrement,
Je souffre plus péniblement
De ne pouvoir te posséder ;
Toute ma peine est augmentée
De ne te voir tout à loisir
Et je meurs de ne pas mourir.

Si je me réjouis, Seigneur,
De l’espérance de ta vue,
Rien qu’à t’imaginer perdu
Je sens redoubler ma douleur ;
Vivant en si grande frayeur,
Désirant de tout mon désir
Je me meurs de ne pas mourir.

Arrache-moi à cette mort,
O mon Dieu, et fais que je vive,
Ne me tiens pas ainsi captive
De ce lacet serré si fort ;
Pour te voir quel cruel effort,
Et si total est mon pâtir
Que je meurs de ne pas mourir.

Pleurerai ma mort à présent
Et de ma vie aurai regret
Si elle reste prise aux rets
De mes péchés aussi longtemps ;
O mon Dieu, quand viendra l’instant
Où tout de vrai je pourrai dire
Je vis, oui, de ne pas mourir.

    
   
Francisco Antonio GIJON, sculpteur (1653-v. 1721), et peintre non identifié (Domingo Mejias ?) Statue de Jean de la Croix –vers 1675-  bois polychrome, H : 1,65m, National Gallery of Art, Washington, école espagnole.


Cette sculpture est typique du baroque ibérique par son expressionnisme doloriste post-tridentin. La National Gallery de Washington, qui vient d’acquérir cette oeuvre, a procédé à une étude scientifique de la sculpture espagnole mystique polychrome du XVIIème siècle. Trois artistes intervenaient dans son exécution : le sculpteur appliquait au bois sculpté une couche d’apprêt blanche. Puis le peintre réalisait l’encarnacion, c’est-à-dire les tons et la texture de la chair (tête, mains, pieds), ici dans un polimento (poli) mate. Un fond rouge servait de base aux couleurs, puis le peintre travaillait par couches de peinture à l’huile pour suggérer ombres, textures, pommettes angulaires du mystique et menton hirsute,  pieds du carme déchaussé. La base du vêtement était constituée de lin durci et peint. Enfin un artiste-décorateur était chargé de l’estofado (ornements dorés, peints et gravés) et des poinçons pour décorer le vêtement. L’impression de la présence humaine est aussi suggérée par les yeux en verre et les dents en ivoire. Tout concourt à l’illusion du réel.
 

Martine Petrini-Poli

17 septembre 2013
 

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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