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Entre mélancolie et dépression : l’acédie médiévale dans le Livre des Fondations de Thérèse d’Avila (chapitre VII)

Publié le : 13 Août 2014
Le titre du Chapitre VII du Livre des Fondations de Thérèse d’Avila indique « Comment se comporter avec les mélancoliques. A lire impérativement par les supérieures. »

Léon SPILLIAERT, Vertige, Lavis d’encre, aquarelle et crayons de couleur, 64X48cm, 1908, Ostende, Musée des Beaux-Arts

Le terme de mélancolie vient du grec : melan, noir et kholé, la bile, c’est la bile noire, selon la théorie des quatre humeurs de l’Antiquité (sang, lymphe, bile et atrabile), ces liquides organiques censés réguler notre tempérament. On ne connaît pas encore la circulation sanguine. La mélancolie est, dans la médecine et la philosophie grecques, une maladie de l’œil d’où naissent des illusions (Galien).

Platon, dans le Timée, localise la mélancolie dans le foie, qui sécrète la bile noire : « Le foie est un miroir qui présente des visions redoutables à l’esprit. » De même, Hippocrate, dans Maladies II, décelait dans le regard mélancolique « des visions effrayantes, des songes si affreux que parfois il voit des morts. » Le symptôme est à la fois une tristesse mortifère et un génie créateur, d’où la tendance au suicide que souligne déjà Aristote.

Au Moyen Age, entre le VIIe et le XIIe siècle, la mélancolie est considérée comme une œuvre du diable, comme elle l’est encore pour Thérèse d’Avila : « Cette malheureuse est incapable de se défendre contre les incitations du démon » (FVII, 3). C’est un des sept péchés capitaux, « acedia », l’acédie qui signifie en grec la négligence, l’indifférence. Elle concerne le moine, père du désert, qui prend en aversion le lieu où il est, son état de vie, les fatigues de l’ascèse et la charité, selon Evagre de Pontique, dès la fin du IVe siècle. L’acédie est ainsi une perte graduelle de l’ardeur spirituelle, « une anesthésie progressive et angoissante de l’âme qui se dessèche », d’après Adam Scot, au XIIe siècle. C’est un « taedium vitae », un dégoût de la vie.

Selon Thomas d’Aquin, l’acédie est un « ennui spirituel », il l’oppose à « la joie, note caractéristique de la vie contemplative. » Thérèse d’Avila partage avec Thomas d’Aquin l’idée que la mélancolie est une passion, à laquelle cède la volonté : « Quand on y réfléchit, on voit que ce qui les intéresse le plus est d’agir à leur guise, de dire ce qui leur passe par la tête, de dénoncer les fautes des autres pour dissimuler les leurs et de faire tout ce qui leur plaît, en somme, de se conduire comme des gens qui ne se maîtrisent plus. Des passions qu’on ne dompte pas par la mortification, qui vous poussent à faire ce qui vous plaît, où aboutiront-elles, si personne ne s’y oppose ? » (FVII, 3).

La spiritualité thomasienne veille à ne pas brusquer la sensibilité : « La supérieure peut éviter de leur donner des ordres quand elle sent qu’elle ne sera pas obéie, car elles n’ont pas la force de se forcer à obéir. Elle peut les traiter par la douceur et l’amour de façon à les amener, si c’est possible, à obéir par amour » (FVII, 9). Il faut éviter avec elles de trop longues prières et des jeûnes stricts. Par contre, Thérèse pense qu’il faut se montrer sévère, dès que la malade commence à « jeter le trouble dans le monastère » (FVII, 3).

La mélancolie est l’indice d’un certain manque d’amour, d’une pathologie narcissique, qui peuvent être très néfastes à la vie communautaire, car ils sont communicatifs : « Notre tempérament est si misérable que chacune croira souffrir de mélancolie pour bénéficier elle aussi de l’indulgence de la communauté » (FVII, 6).

A la fin du XIIIe siècle, l’acédie cesse d’être un péché réservé aux moines, elle concerne toutes les formes de paresse (négligence, manque de persévérance et d’efficacité, perte de temps), puis elle va s’étendre à tous les domaines de la vie sociale et économique (travail, famille, vie publique) dans une sécularisation des péchés capitaux. Le remède est une saine occupation. C’est ce que préconise Thérèse d’Avila : « Il faut bien voir que le meilleur remède consiste à les tenir occupées à des tâches pour empêcher leur imagination de vagabonder, car c’est la cause de tout leur mal » (FVII, 9).

Au XVIe siècle, la mélancolie baroque se joue des apparences, du monde à l’envers, de l’illusion théâtrale dans La Vie est un songe de Calderon, ou dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. C’est au XVIIIe siècle que le terme de « spleen » est employé pour la première fois en France par les philosophes Voltaire et Diderot. « Spleen » est un mot anglais qui signifie la rate sécrétant la bile noire. C’est un trouble lié au climat, surtout en Angleterre, et qui est ressenti par les adolescents et les femmes, il peut conduire au suicide. Le « mal du siècle » du XIXe siècle devient pour les écrivains romantiques une façon d’être au monde, une réponse digne à leur exil social, à leur douleur d’être et d’aimer. L’inspiration symboliste naît avec Les Fleurs du Mal de Baudelaire, dont la première section s’intitule « Spleen et Idéal ».

Thérèse d’Avila considère la mélancolie comme « une maladie grave », particulièrement « chez les femmes que leur faiblesse y expose » et qui « refusent d’admettre qu’elles sont malades » (FVII, 10). Vers 1900, on parlait de neurasthénie, aujourd’hui de dépression, d’états maniaco-dépressifs ou de troubles bipolaires. On découvre une autre face de l’individu performant : un être fragile et vulnérable.

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Martine Petrini-Poli

Martine Petrini-Poli, professeur de lettres (titulaire du CAPES et du Doctorat de 3ème cycle) en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama. Responsable de la Pastorale du Tourisme (PRTL 71).

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