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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Les vitraux de Per Kirkeby pour l'église de Gentofte (2008, Danemark)

Publié le : 28 Juin 2009

 

 

 

Fig. 1- intérieur de l'église de Gentofte ; vue vers l'autel

© C. Levisse

 

   Per Kirkeby (né en 1938 ; prononcez « Kirkebu ») est l’un des artistes les plus célèbres que le Danemark compte. Il a récemment fait l’objet d’une exposition rétrospective à Louisiana, le musée d’art moderne de Copenhague (sept. 2008- janv. 2009), une exposition qui est actuellement présentée à la Tate Modern de Londres depuis le 17 juin. D’abord formé comme géologue, Kirkeby s’orienta rapidement vers l’art et il est désormais connu pour ces grandes peintures abstraites ou semi-abstraites dont l’expressivité des couleurs est fascinante. Il est également reconnu comme écrivain et réalisateur, et de nombreuses commandes publiques et privées lui ont été confiées. Parmi ces dernières, on trouve six commandes religieuses, réalisées entre 1996 et 2008. Ces créations sacrées sont généralement ignorées, ou uniquement rapidement évoquées, dans le monde de l’art officiel ; pourtant leur qualité et leur succès en font des œuvres importantes dans la carrière de Kirkeby. La plus récente de ces réalisations en milieu sacré est ici présentée.
La première église à Gentofte (ville dans la banlieue de Copenhague) remonte à 1176, mais le bâtiment actuel aux murs en briques et au toit de tuiles, est le résultat de plusieurs constructions et reconstructions successives. L’intérieur est classique et simple ; il se compose d’une nef (sans bas-côté) dans laquelle deux rangées de bancs sont disposées, du chœur, d’un espace latéral destiné à l’orgue et d’un espace de méditation situé à l’extrémité opposée du chœur. En juin 2008, les paroissiens de l’église de Gentofte, découvraient les nouveaux vitraux de leur église, réalisés par Per Kirkeby. Ces créations artistiques, consacrées le 14 septembre 2008, éclairent d’une lumière nouvelle l’espace liturgique.

  

   Il y a cinq ans de cela, le conseil paroissial de Gentofte réalisa que de l’argent reposait dans un fond pour la paroisse. Il fut décidé de l’utiliser pour un projet artistique. Le coût exact de la commande semble devoir rester secret ; on sait simplement que l’argent provient d’une généreuse donation faite au fond local de la paroisse1. Concernant le choix de l’artiste, il découle notamment du fait que Kirkeby soit un artiste reconnu au sein du monde de l’art mais aussi par le monde religieux grâce à ses précédentes créations en milieu sacré. A ce niveau, il représentait un choix peu risqué et prestigieux. De plus, il est l'un des habitants de la commune de Gentofte.

 

   Il fut d’abord demandé à Per Kirkeby de réaliser un nouveau retable pour l’autel, qui prendrait la place de celui créé au 17ème siècle. Cependant, il refusa et proposa plutôt de créer de nouveaux vitraux, pour remplacer les anciennes fenêtres à armature de plomb ; l’idée qui fut acceptée. Pendant quatre années, Kirkeby a travaillé à la création des vitraux en collaboration avec le maître verrier Per Hebsgaard. Les onze vitraux évoluent autour de grands thèmes bibliques, provenant à la fois du Nouveau et de l’Ancien Testament : d’abord les tables de la loi (mur sud, proche de l’autel, fig. 11), l’entrée à Jérusalem (fig. 2), la Cène, le jardin des Oliviers, (fig. 10) une première représentation de la crucifixion (fig. 5), puis une seconde (à l’Ouest, faisant face à l’autel, fig. 7), la fuite en Egypte (mur nord, fig. 13), le sermon de la montagne, le paradis, Sodome et Gomorrhe (fig. 14), le déluge (mur nord, proche de l’autel, en face du vitrail représentant les tables de la loi)2.
   A première vue et malgré ces titres spécifiques, il est bien difficile de reconnaitre ces épisodes au sein la profusion de couleurs et de formes qui composent les vitraux. Pourtant, à y regarder de plus près, quelques détails révélateurs émergent comme autant d’indices à propos du sujet qu’ils représentent. Par exemple en haut du vitrail représentant l’entrée à Jérusalem (fig. 2), Kirkeby a discrètement représentées quelques palmes (fig. 4) – les rameaux, symboles de cet évènement – et une couronne d’épines (fig. 3) – préfiguration du sacrifice que Jésus s’apprête à accomplir et qui est la raison de sa venue à Jérusalem. Ces détails discrets apparaissent et disparaissent au gré de la lumière et de la place du regardeur.

ci-dessus : Fig. 2- Per Kirkeby, L'entrée à Jérusalem (mur Sud)   © C. Levisse

 

ci-dessous : Fig. 3 et 4- détails de L'entrée à Jérusalem. A gauche la couronne d'épines, à droite les rameaux © C. Levisse


   Un autre de ces détails est le motif de la cale au pied de la croix, enfoncée dans le sol (fig. 8). C’est d’ailleurs un motif omniprésent chez Kirkeby. Depuis les années 1990, il revient de façon récurrente vers ce détail qu’il a d’abord découvert dans les représentations de la crucifixion de la Renaissance. Pour l’artiste, le détail – les palmes, le pied de la croix, ou encore le serpent ou une poutre – est suffisant pour représenter un sujet dans son ensemble ; cette stratégie fonctionne donc en admettant qu’une partie vaut pour le tout. Si Kirkeby suggère, plutôt que d’illustrer littéralement les épisodes bibliques, c’est parce que la suggestion est, selon lui, la seule manière de représenter les thèmes chrétiens dans notre monde actuel : « Ce n’est plus possible de peindre la scène entière, à ce niveau, la modernité s’est développée trop à l’écart des grands récits [métarécits] »3.

 

   Ces nouveaux vitraux représentent une modification radicale de l’atmosphère caractérisant l’intérieur de l’église. C’est entre autres l’opinion de Leif Evald, prêtre de la paroisse de Gentofte, qui expliquait en 2008 : « L’office est aussi formé par l’espace religieux, ses images et par la lumière de cet espace. La lumière naturelle qui pénétrait à l’intérieur à travers les anciennes fenêtres est désormais remplacée par un afflux lumineux radicalement différent. Cela va activement entrer en jeu avec l’utilisation de l’église et va stimuler cette utilisation »4. Dès leur consécration, le rôle liturgique des vitraux ne faisait donc aucun doute pour Leif Evald. Alors que l’église était auparavant à l’image de ses murs blancs et de ses bancs aux couleurs pastels : paisible et jolie ; avec les vitraux de Kirkeby, l’ambiance acquiert quelque chose de plus dramatique, qui a le pouvoir de mettre en marche la réflexion et la contemplation. Ceci est par exemple flagrant lorsque l’on observe les couleurs violentes, la texture dense et les lignes dynamiques qui composent le vitrail intitulé « Crucifixion » (fig. 5 et 6).

 

      

Fig. 5- Per Kirkeby, La Crucifixion (mur Sud)        Fig. 6- détail de La Crucifixion

© C. Levisse

 

Le rouge évoque la couleur du sang, du meurtre, et le noir renvoie à la tristesse ténébreuse du deuil. Lorsque l’on s’approche suffisamment près de la fenêtre, il est possible de voir que la surface n’est absolument pas lisse et la violence gestuelle de certaines formes suggère la violence et l’indignité de cette exécution. Les moyens formels déployés par l’artiste sont donc le reflet du drame qu’est la mise à mort du Christ. En revanche, le deuxième vitrail qui porte le même nom ne semble plus orienté vers la souffrance de la mort, mais vers l’espoir et le mystère de la résurrection (fig. 7). C’est ce vers quoi pointent différentes caractéristiques, telles que la partie intermédiaire qui est laissée vierge de couleur et de représentation, l’absence de représentation de la violence et de la tristesse, la présence unique du motif des cales au pied de la croix (fig. 8), ou encore la place du vitrail dans l’église (sur le mur faisant face à l’autel, de l’autre côté de la nef) qui fait le lien entre l’Eucharistie, la crucifixion et la résurrection. La crucifixion n’est pas aux yeux du croyant une fin, mais bien plutôt la voie vers la résurrection, ici suggérée comme un mystère qui ne serait être figuré. Il faut ici évoquer l’immense intérêt de Kirkeby pour la crise iconoclaste byzantine. Cet intérêt s’exprime dans ses écrits, mais aussi dans ses œuvres, qui refusent la narration littérale et anecdotiques en tant qu’impropre à la transmission des idées, des croyances et des sentiments, qu’ils soient religieux ou artistiques.

 

  

Fig. 7 et 8- Per Kirkeby, La Crucifixion (mur Ouest) ; vue d'ensemble et détail de la partie inférieure   © C. Levisse

 

   Chez Per Kirkeby couleurs et détails travaillent à la réalisation d’un même objectif : l’expression artistique de la foi chrétienne. Il est en effet croyant et pour lui, sa pratique artistique fait partie intégrante de cette foi qu’il décrit comme un « christianisme luthérien fort »5. Peindre, c’est croire affirme-t-il ; et donc l’art n’a besoin ni de la figuration ni de la narration pour exprimer ses croyances religieuses. La méthode de Kirkeby consiste donc généralement à effacer toutes traces trop littérales de figuration. Pourtant, il explique que pour ses œuvres sacrées dans l’église de Gentofte, il a parfois dû aller à l'encontre de ses propres envies et habitudes artistiques. Il explique qu'il « a pris les narrations et a conservé à la fois ces histoires et le caractère chrétien, et ce dans le même temps que se manifestait quelque chose proche d’une expérience de foi »6. Les symboles explicitement chrétiens et familiers sont des éléments auxquels les paroissiens peuvent facilement se rattacher. La considération des besoins et désirs des personnes qui « utilisent » l’église est pour Kirkeby une obligation, un engagement. C’est d’ailleurs un sentiment partagé par de nombreux artistes contemporains lorsqu’ils créent pour des lieux de culte : l’ego artistique doit savoir à certains moments se retirer et laisser place à l’humilité, devenant ainsi l’une des conditions essentielles à la création réussie d’une œuvre sacrée.

 

Fig. 9- Vue de l'église de Gentofte, vers l'Ouest

© C. Levisse

 

Fig. 10- Per Kirkeby, Gethsémani, mur Sud

© C. Levisse

 

         

Fig. 11 et 12- Per Kirkeby, Les Tables de la Loi (mur Sud) ; vue d'ensemble et détail

© C. Levisse

 

 

Fig. 13- Per Kirkeby, La Fuite en Égypte, mur Nord

© C. Levisse

 

 

          

Fig. 14 et 15- Per Kirkeby, Sodome et Gomorrhe, mur Nord

© C. Levisse

 

 

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Notes

 

1. ”Fonden for Gentofte Sogns Menighedsarbejde” auquel ont donné : ”OAK Foundation”, ”Augustinus Fonden” et ”A.P. Møller og hustru Chastine Mc-Kinney Møllers Fond til almene Formaal”


2. Les références à des épisodes bibliques pour chaque vitrail sont données sur le site Internet de l’église de Gentofte : http://www.gentoftekirke.dk/index.php?id=13386 [en danois] ; on trouve également sur le site une photographie de chaque vitrail [dernière consultation : mai 2009].


3. Mikael Wivel, in Dansk kunst i det 20. Århundrede, Copenhague, Gyldendal, 2008, p. 923 : « Det er ikke længere muligt at male hele scenen, dertil har moderniteten udviklet sig for langt bort fra netop dén store fortælling » (ma traduction)


4. Propos de Leif Evald rappotés par Jørgen Steens, ”Dramatik i den pæne kirke”, in Kristeligt Dagblad, 16 septembre 2008 : http://www.kristeligt-dagblad.dk/artikel/297722:Kirke---tro--Dramatik-i-den-paene-kirke : « Gudstjenesten formes jo også af kirkerummet og af dets billeder, og af lysets i rummet. Det naturlige dagslys, vi fik ind gennem de gamle vinduer, er nu afløst af et radikalt anderledes lysindfald. Det vil spille aktivt med og udfordre brugen af kirken fremover » [dernière consultation : 27-06-09]


5. Per Kirkeby dans l’article de Tine Bjerre Larsen ”At male er også at tro” [Peindre c'est aussi croire] in Kristeligt Dagblad, 20 septembre 2008 : http://www.kristeligt-dagblad.dk/artikel/298369:Liv---Sjael--At-male-er-ogsaa-at-tro : ”solid lutheransk kristendom” [dernière consultation : 27-06-09]


6. Ibid. : ”Jeg har taget fortællingerne og både bevaret dem og det kristelige, samtidig med at det er blevet noget, der er tæt på trosoplevelsen” (ma traduction)

 

 

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Autres créations en milieu sacré de Per Kirkeby :

- Eglise de Frejlev, 1996-2002
- Eglise Notre-Dame à Århus, chapelle de l’hôpital, 2000 : vitrail
- Eglise de Gurre, 2002 : retable d’autel
- Eglise Sankt Morten, à Randers, 2004 : retable d’autel
- Eglise du château de Fredensbog, 2006 : peinture sur le plafond

 

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Quelques références bibliographiques :

 

  • Sur le site internet de l’église de Gentofte, en danois : photos des vitraux.

          http://www.gentoftekirke.dk/index.php?id=11453

 

  •  Lars MORELL, Genopdagelsen af Byzans. Det religiøse i Per Kirkebys kunst [La redécouverte de Byzance. Le religieux dans l’art de Per Kirkeby], Danemark, Thaning&Appel, 2005

 

  • Lars MORELL, Kunstneren som polyhistor. ”Den intellektuelle overbygning” i Per Kirkebys værk [L’artiste comme savant. ”La super-structure intellectuelle” dans le travail de Per Kirkeby], Århus : Århus Universitetsforlag, 2004 [disponible en version anglaise : The Artist as Polyhistor]

 

  • Poul Erik TØJNER (dir.), Per Kirkeby. Louisiana 2008, catalogue d’exposition, Louisiana Museum of Modern Art, sept. 08- janv. 09 ; Esbjerg: Louisiana et Rosendahls, 2008 [en anglais]

 

  • Mikael WIVEL, Kunsten i kirken. Danske kirkeudsmykkninger fra de sidste hundrede år [L’art dans l’église. Décorations d’églises danoises pendant les cent dernières années], Danemark : Thanning&Appel, 2005
     

 

 

http://www.vitrail-architecture.com
http://www.vitrail-architecture.com a écrit :
17/04/2013 18:11

Un très beau sens de la couleur dans cette création de vitraux

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