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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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L'église de Kastrup et sa décoration par Svend Wiig Hansen (1973-1984)

Publié le : 6 Septembre 2009
Une création religieuse et artistique controversée, avant tout destinée aux hommes et aux femmes, plutôt qu'à la gloire de Dieu...

 

 

 

Voir une photographie de l’église avant la décoration de Svend Wiig Hansen


 

Vue de l’extérieur, l’église de Kastrup (construite en 1884) n’a rien d’original. Il faut entrer pour comprendre pourquoi cette église figure dans les livres dédiés aux relations entre la religion et l’art. C’est au début des années 1970 que le conseil paroissial de l’église de Kastrup décide de renouveler la décoration de son chœur. Originellement, il devait s’agir d’un retable d’autel en forme de vitrail, ce qui ne fut jamais réalisé pour des raisons architecturales. Ensuite, le projet se porta vers la réalisation d’une tapisserie qui serait exécutée par l’un des paroissiens ; la mort de ce dernier signa l’échec de cette deuxième entreprise. Approximativement au même moment, quelques membres du conseil paroissial découvrirent une œuvre de Svend Wiig Hansen (1922-1997), Livsbølgen (La vague de la vie, 1971) dans l’hôtel de ville de Tårnby, qui les incita à lui confier le projet de décoration du chœur. L’artiste accepta et réalisa des esquisses de « L’homme blessé » (« Det sårede menneske »), qui est désormais le motif central du panneau qui orne le mur du chevet, réalisé en 1974. Pendant les dix années qui suivirent, Svend Wiig Hansen continua à créer pour cette église et réalisa finalement la décoration totale de l’intérieur. L’artiste travailla gratuitement, avec des élèves de l’Académie des beaux-arts, tandis que le matériel et le maître verrier (Per Steen Hebsgaard) furent payés par le fond paroissial local.

 

Le programme iconographique est intéressant et surtout inhabituel. Mais l’originalité de cette création commence dès le choix des matériaux : les panneaux latéraux et ceux qui ornent le plafond sont « gravés » sur des plaques d’aluminium elles-mêmes collées sur des panneaux de bois. En conséquence, les motifs ressortent de manière particulière, ils sont parfois inondés de la lumière qu’ils reflètent.
La décoration totale de l’espace peut-être envisagée en quatre parties différentes : d’abord le panneau qui orne le mur du chevet, derrière l’autel, puis celui qui lui fait face sur le mur ouest où est située l’entrée de l’église, ensuite, les motifs qui sont répartis sur le plafond et enfin les vitraux.

 

1- Le panneau du mur du chevet : L’Homme blessé (« Det sårede menneske »)

 

Mur du chevet : L'Homme blessé, 1974  © C. Levisse


Ce panneau se distingue avant tout par l’agitation qui y prend place. Cette cacophonie visuelle demande à celui qui regarde de s’approcher pour pouvoir distinguer les motifs et « mettre de l’ordre » dans la représentation. L’homme blessé, qui a donné son nom à l’ensemble du panneau, est la silhouette légèrement placée vers la droite, dont les contours ressortent davantage que ceux qui dessinent les autres figures. Il est attaché et a les bras et les jambes croisés. Autour de lui, différentes figures s’agitent entre, dans le coin supérieur gauche, une forme abstraite qui représente Dieu et, dans le coin supérieur droit, une autre forme représentant le nuage en forme de champignon qui suit l’explosion d’une bombe. Entre création et destruction, les hommes de la fresque s’agitent, tombent, etc. Lorsque Svend Wiig Hansen créa ce panneau, la Guerre froide envenimait les affaires du monde et les hommes vivaient sous le spectre d’une possible annihilation totale de l’humanité. Le panneau de L’Homme blessé ressemble donc à une vision du Jugement dernier. L’artiste déclara d’ailleurs avoir eu comme inspiration la fresque de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.

Dans le coin inférieur gauche, l’artiste a placé l’une de ses figures préférées, la Terre-Mère (« Moder Jord »), la mère nourricière, que l’on retrouve dans nombre de ses toiles, telles que Jorden Græder [La Terre pleure] de 1981. Cette figure assise, qui se recroqueville sur elle-même semble souffrir et se désoler en voyant le chaos qu’est devenue l’Humanité.

 

 


2- Le panneau du mur d’entrée : Le baiser (« Kysset »)

 

Le mur d'entrée, à l'Ouest : Le Baiser  © C. Levisse

 

Sur le mur opposé, Svend Wiig Hansen décida de représenter ce qu’il envisage comme la solution face à la destruction qui nous menace : l’amour et la fraternité entre les hommes. Des deux côtés de la porte d’entrée, des hommes sont représentés qui se meuvent vers le milieu, le dessus de la porte, où deux figures s’embrassent. On ne voit que leur visage, leur cou se prolongeant chacun vers l’un des panneaux latéraux comme pour englober tous les hommes et femmes qui s’y pressent. On a ainsi l’impression que les deux groupes, physiquement séparés par la porte, fusionnent dans les cous des deux têtes centrales pour se trouver ainsi unis dans le baiser (voir détail plus bas).

 

3- Les motifs au plafond : La dissolution de l’homme
Au plafond se déroule une histoire différente. Il s’agit de celle des hommes ne formant d’abord qu’un tout (premier espace entre les poutres à partir de l’entrée) puis se séparant, à cause de la Chute, jalousie et envie poussèrent les hommes à se déchirer entre eux. Puis la fin se résume par la dissolution des hommes, et toutes les différences n’ont plus d’importance (dernier espace, au dessus du chœur). Si cette interprétation est celle de l’artiste lui-même, il peut être délicat d’identifier cette histoire lorsque l’on regarde le plafond sans la connaître.

 

 

Le plafond © C. Levisse


4- Les vitraux : L’homme comme témoin

Le dernier élément créer par Svend Wiig Hansen dans l’église, ce sont les vitraux et la décoration qui les entourent. La technique est différente puisqu’il s’agit cette fois-ci de peinture. Chacun des dix vitraux représente un homme ou une femme, nu(e) et debout, soit rouge, soit bleu. Ces personnages sont dénués de particularités, ils sont à l’image de chacun d’entre nous, des témoins de se qui se passe dans le monde et dans l’église. Sur le contour des fenêtres, Svend Wiig Hansen a peint des vaguelettes, grises, blanches ou noires, qui confèrent une impression de mouvement à l’ensemble, surtout si l’on se déplace dans l’église en les regardant. Cette « mer houleuse va du blanc, couleur douce, jusqu’au noir, couleur dramatique, à l’endroit du mur de l’autel. Le symbole de la lumière et de l’obscurité de la Vie. Et dans cette mer se tiennent les témoins »1, écrit l’artiste.

 

Les vitraux et la décoration des fenêtres, sur le mur Nord © C. Levisse

 

Il ressort de l’ensemble de l’espace, dominé par des couleurs grises et bleues plus ou moins claires, une atmosphère apaisante, qui finalement contraste avec le chaos représenté sur le mur du chevet. Mais Svend Wiig Hansen ne laisse pas la destruction sans remède puisque sur le panneau du mur d’entrée, il nous rappelle que l’amour et la fraternité sont les solutions pour contrer nos instincts guerriers et destructeurs. Les mots de l’artiste vont dans ce sens : « Avec le Jugement Dernier de Michel Ange en tête, j’ai commencé à travailler sur le mur du chevet avec le titre L’homme blessé, né entre Dieu, le créateur, et la bombe, l’annihilatrice, pour plus tard me retourner et former sur le mur opposé l’image Le Baiser, une ovation pour la plus puissante force contre la guerre, l’amour »2. C’est un beau message pour les paroissiens que de sortir de l’église après chaque service en passant sous Le baiser qui porte l’espoir d’un monde meilleur, non pas celui du Paradis, mais ici-même, sur cette terre.

 

Détail du panneau du mur Ouest, Le Baiser, au-dessus de la porte d'entrée

© C. Levisse


Comme le suggère le titre de cet article, par le biais de ses créations, l’artiste souhaite avant tout s’adresser aux hommes qui vivent ici-bas. En aucun cas il n’a réalisé la décoration de l’église de Kastrup dans l’intention de célébrer la gloire de Dieu. C’est l’un des points qui a fait du travail de Svend Wiig Hansen dans cette église une œuvre controversée par certains paroissiens, théologiens ou membres du clergé. Comme le disent Grethe Hamborg et Torben Nesjan (personnels de l’église en 1995), « On ne rentre pas dans l’église de Kastrup pour trouver la paix en dehors du monde. Au contraire, la réalité de tous les jours, bonne ou mauvaise, est toujours présente, avec une dominance du mauvais chez Svend Wiig […] donc on est presque forcé à intégrer [la réalité]. Le monde de Dieu et le notre se rencontre de façon littérale dans l’église. Du coup il devient aussi évident que le service religieux a quelque chose à voir avec ce qui se passe dans le monde dehors »3. Ceux qui ne se sentaient pas à l’aise dans cette église ont changé de paroisse, mais ceux qui sont restés et qui arrivent « aiment leur église. Je pense que c’est parce ce que la décoration de Svend Wiig Hansen est devenue un moyen d’ouvrir de nouveaux horizons pour celui qui regarde »4, confie Helene Dam, pasteur dans le diocèse de Copenhague.

Quant à l’historien de l’art danois, Mikael Wivel, auteur de L’art dans l’église [Kunsten i kirken, 2005], il juge l’église de Kastrup comme la meilleure création religieuse du 20ème siècle, parce « c’est celle qui, à un plus haut degré que les autres, est de notre temps. Wiig avait une relation à la fois passionnée et personnelle avec l’iconographie chrétienne. Il s’est libéré de la tradition, ne s’appuyait pas sur ce qui est déjà connu, mais prenait au contraire son point de départ dans l’homme et l’existence humaine, ici et maintenant. […] Par conséquent son expression est profondément originale […]. On parle ici d’un chef-d’œuvre, non seulement concernant le nouvel art religieux, mais aussi de l’art danois en général »5.

 

 

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Sources


- Anne Mette GRAVGAARD, Tro- Rum- Billede [Croyance- Espace- Image], Århus, 2002, p. 60 : ”Kastrup kirke”
- Anne-Mette GRAVGAARD (dir.), Ny kunst i gamle kirker, Århus, 1995
- Mikael WIVEL, Kunsten i kirken [L’art dans l’église], Copenhague, 2005, p. 89-100: ”Svend Wiig Hansen. Kastrup kirke”
- Palle THORDAL, Torben NESJAN, Kastrup kirke, feuillet édité par le conseil paroissial, disponible dans l’église

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Notes

1. Svend Wiig Hansen, propos rapportés par Anne-Mette Gravgaard, Ny kunst i gamle kirker, Århus, 1995, p. 16 (ma traduction)
2. Ibid.
3. Propos recueillis par Anne-Mette Gravgaard, 1995, op. cit. , p. 16
4. Helene Dam, prêtre dans le diocèse de Copenhague, in Kirkeliv i København, 2008, p. 18
5. Mikael Wivel in Helene Moe, ”Kirkekunst og kanoner. Interview af Mikael Wivel”, Kristeligt Dagblad, 12 août 2005:

http://www.kristeligt-dagblad.dk/artikel/67910:Kultur--Kirkekunst-og-kanoner

(en danois)

 

 

 

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