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Clochers d'églises chez Proust et à Copenhague

Publié le : 21 Juillet 2009
Entre mémoire et vie quotidienne.
Un "article de vacances"...

 

 

l'église de la Garnison ("Garnisonskirken"), Copenhague © C. Levisse

 

 

En guise de lecture de vacances, j’explore À la recherche du temps perdu. Quel ne fut pas mon plaisir lorsque par plusieurs fois les lignes écrites par Marcel Proust (1871-1922) me renvoyèrent vers l’un des premiers articles de ce blog, « L’église ensablée », dans lequel était faite une brève allusion à l’importance persistante du clocher dans le paysage des pays de culture chrétienne. Chez Proust aussi, l’église et son clocher sont des éléments essentiels, non seulement du paysage, mais aussi de la mémoire. Certainement inspirée par « Bibliothèque du silence », le blog de Christophe Langlois, je ne peux m’empêcher de partager ce passage, les souvenirs qu’il fait émerger et les découvertes qu’il entraine…

 

Dans Du côté de chez Swann, publié pour la première fois en 1913, on lit :

« Combray, de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une église résumant la ville, la représentant, parlant d’elle et pour elle aux lointains, et, quand on s’approchait, tenant serrés autour de sa haute mante sombre, en plein champ, contre le vent, comme une pastoure ses brebis, les dos laineux et gris des maisons rassemblées qu’un reste de remparts du Moyen Âge cernait ca et là d’un trait aussi parfaitement circulaire qu’une petite ville dans un tableau primitif. » (p. 47 de mon édition : Gallimard, coll. Folio classique, 2003)

 

C’est à partir de cette vue, qui annonce la présence toute proche du village, que Proust déploie l’univers des souvenirs de vacances de son narrateur, passées dans la petite ville de Combray. Je ne peux résister au plaisir de montrer ici en image mon propre souvenir, le clocher de l’église de Willeman, un petit village du Pas-de-Calais, qui fut pour moi – et est toujours – le lieu de nombreux week-ends et autres temps de vacances. Lorsque l’on approche par les collines alentours, le premier signe de l’existence même d’un village dans ce petit vallon est précisément le clocher de l’église – classé comme monument historique depuis 1906. A certains endroits il est tout ce que l’on distingue du village.

 

 

 


Ci-dessus : le clocher, presque invisible parmi les arbres, de l’église de Willeman (Pas-de-Calais)  © Luc Levisse
Ci-dessous : le clocher de l'église de Willeman vu depuis un endroit différent © Luc Levisse

 

Proust revient plus loin sur l’église de Combray et notamment sur son clocher :

« Et dans une des plus grandes promenades que nous faisions de Combray, il y avait un endroit où la route resserrée débouchait tout à coup sur un immense plateau fermé à l’horizon par des forêts déchiquetées que dépassait seule la fine pointe du clocher de Saint-Hilaire, mais si mince, si rose, qu’elle semblait seulement rayée sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à ce paysage, à ce tableau rien que de nature, cette petite marque d’art, cette unique indication humaine ». (p. 62)

 

La tour de l’église ensablée est elle aussi, telle que je l’ai décrite, l’unique témoin, le vestige d’une présence humaine antérieure, présence que le temps et les conditions ont déplacée. Aujourd’hui, depuis les dunes de la plage voisine, on peut toujours situer l’emplacement de l’église désormais détruite, grâce à ce clocher dont l’extrémité parvient à dépasser la cime des arbres environnants.

 

La tour de l’église ensablée, à Skagen, Danemark, vue depuis la côte Est © C. Levisse

 


« C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. […] Même dans les courses qu’on avait à faire derrière l’église, là où on ne la voyait pas, tout semblait ordonné par rapport au clocher surgi ici ou là entre les maisons, peut-être encore plus émouvant encore quand il apparaissait ainsi sans l’église. » (p. 64).

 

La tour de l’église n’est pas seulement un indicateur topographique, elle est également grâce à ses cloches qui sonnent de manière régulière, un repère temporel. Plus encore, le clocher est aussi un symbole de l’identité partagée par une communauté d’habitants. Ainsi, lorsque Copenhague fut bombardée par les Anglais en 1807 l’un des symboles de la défaite danoise fut l’image du clocher de la cathédrale en feu, alors haut de 120 mètres. Le tableau peint par Eckersberg représentant cette nuit terrible est devenu l’icône du bombardement de Copenhague.

 

C. W. Eckersberg, Copenhague en feu en 1807


Pour revenir à Du côté de chez Swann :

« C’était toujours à lui [le clocher] qu’il fallait revenir, toujours lui qui dominait tout, sommant les maisons d’un pinacle inattendu, levé devant moi comme le doigt de Dieu dont le corps eût été caché dans la foule des humains sans que je le confondisse pour cela avec elle. » (p. 66)

Et encore plus loin, vers la fin de la partie intitulée « Combray », Proust décrit comment la vue des clochers l’enchanta une fois de plus :

« Au tournant d’un chemin j’éprouvai tout à coup ce plaisir spécial qui ne ressemblait à aucun autre, à apercevoir les deux clochers de Martinville, sur lesquels donnait le soleil couchant et que le mouvement de notre voiture et les lacets du chemin avaient l’air de faire changer de place, puis celui de Vieuxviq qui, séparé d’eux par une colline et une vallée, et situé sur un plateau plus élevé dans le lointain, semblait pourtant tout voisin d’eux. […] Je ne savais pas la raison du plaisir que j’avais eu à les apercevoir à l’horizon et l’obligation de chercher à découvrir cette raison me semblait bien pénible ; j’avais envie de garder en réserve dans ma tête ces lignes remuantes au soleil et de ne plus y penser maintenant. » (p. 177-178).

De cette vision enchanteresse naîtra immédiatement un petit texte dont le narrateur couche les mots alors qu’il est en voiture et que les clochers s’évanouissent à l’horizon. Son texte lui permet de garder intact, et même d’accroître, le plaisir que procure la réactivation de certains souvenirs par la mémoire.

 

En réponse au plaisir de la lecture du texte de Proust, j’ai donc choisi de parcourir le centre de Copenhague, en gardant les yeux levés vers le ciel, guettant de la sorte l’apparition de ces marqueurs d’espace, de temps, d’histoire, de mémoire, et d’identité que sont les clochers d’église. Les quelques photographies qui closent cet article en sont les témoins : des clochers copenhaguois qui, malgré la densification et l’élévation de l’habitat urbain, jaillissent toujours vers le ciel et ponctuent la ville de leur présence rassurante et charmante.

 

Le clocher de l’église de Notre-Sauveur (« Vor Frelsers kirke »), Copenhague
La tour en spirale, si reconnaissable, fut achevée en 1752

© C. Levisse

 

 

 Clocher de l'église de Christian ("Christians kirken"), Copenhague © C. Levisse

 

 

Le dôme de l'église de Frederik ("Frederiks kirken") dite aussi l'église de marbre ("Marmorkirken"), Copenhague © C. Levisse

 

 

 Le clocher de l'église Saint-Nicolas ("Sankt Nikolaj kirke"), Copenhague © C. Levisse

 

La tour de la cathédrale de Copenhague, "Vor Frue Kirke" (l'église Notre-Dame)

© C. Levisse

 

 

Sur la gauche de l'image : les clochers de la cathédrale Notre-Dame ("Vor Frue kirke") et de l'église Saint-Pierre ("Sankt Petri kirke") ; sur la droite, l'imposant clocher de l'église du Saint-Esprit ("Helligåndskirken"), Copenhague 

© C. Levisse

 

La tour de l'église anglicane de Copenhague, (Saint Alban's Church) © C. Levisse

 

Le sommet d'un clocher qui se distingue à peine du ciel nuageux ; depuis le jardin du Roi ("Kongens Have") à Copenhague © C. Levisse

 

 

 

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