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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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La cathédrale de Copenhague en feu (sept. 2007)

Publié le : 13 Septembre 2009
Une splendide et saisissante performance de Thyra Hilden et Pio Diaz, dont la dimension spirituelle est révélée par le lieu sacré qu'est l'église Notre-Dame (cathédrale de Copenhague) ...

 

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L'intérieur de la cathédrale de Copenhague, l'église Notre-Dame (Vor Frue kirke) avec les flammes de City on Fire qui s'étendent sur la voûte et le mur du chevet. Septembre 2007

© T. Hilden & P. Diaz

 

   Le 1er septembre 2007, deux-cents ans après le bombardement de Copenhague par les Anglais et l’incendie de la flèche de l’église Notre-Dame, Thyra Hilden et Pio Diaz mettaient une nouvelle fois le feu à l’édifice (voir l’article précédent sur la cathédrale). Il s’agit bien entendu d’un feu fictif, résultat d’une installation vidéo, intitulée City on Fire [Ville en feu].
   Le couple dano-argentin n’en est pas à sa première manifestation ; City on Fire fut d’abord installé à Rome, la fontaine de Trevi prenant feu à l’occasion de la Saint-Silvestre en 2005. Puis ce fut le tour de différents monuments historiques, dans plusieurs pays à travers le monde. Le sous-titre de cette création, « Burning the Roots of Western Culture » [Brûler les racines de la culture occidentale], est révélateur de l’intention qui anime les créateurs : remettre en question notre patrimoine, notre héritage culturel. L’objectif d’Hilden et de Diaz est de déclencher une réflexion sur la capacité qu’a l’être humain de détruire son environnement, et celle moins facile de reconstruire, de renaitre de ses cendres après la catastrophe. Néanmoins, pour l’église Notre Dame, on leur demanda de ne pas apposer ce sous-titre au titre de l’œuvre.
  

   Une église est-elle un lieu approprié pour une telle installation ? La question fut posée et la réponse fut positive. Ce sont d’ailleurs les membres du conseil paroissial de la cathédrale eux-mêmes qui sont allés trouver les artistes pour leur demander d’y projeter City on Fire. Si Thyra Hilden et Pio Diaz n’avaient jusqu’alors pas imaginé qu’un lieu religieux puisse devenir le théâtre de leur création, cette expérience s’est révélée être pour eux très enrichissante et parfois surprenante. Le contexte sacré apporte en effet de nouvelles dimensions à cette œuvre saisissante. La photographie ci-dessus montre la voûte de la cathédrale et le chœur sur lesquels le feu est projeté et témoigne de l’aspect spectaculaire et grandiose de City on Fire.

 

© T. Hilden & P. Diaz

 


• Le feu archétypal de City on Fire : destruction et renaissance
  

   Le feu est le sujet de toutes les peurs et de toutes les fascinations. Il est à la fois l’agent du bien et du mal, il engendre aussi bien la destruction que la renaissance. Cette ambiguïté radicale lui est essentielle, elle définit sa nature. Nous sortons à peine de l’été et les souvenirs des terribles incendies qui ont ravagé des hectares de nature à travers le monde sont encore vifs. Dans notre société qui a substitué la froide électricité à la chaleur du foyer, le feu peut sembler avoir perdu quelques unes de ses fonctions millénaires. Cependant, en tant qu’archétype1, en tant qu’élément de notre mémoire culturelle, le feu nous touche tous et refuse tout traitement historique2, chaque flamme peut nous emmener vers de lointaines réminiscences de l’histoire humaine.
   Pour Thyra Hilden et Pio Diaz cette double nature du feu est essentielle, elle est ce sur quoi leur démarche artistique est basée et elle est également le reflet de leur collaboration à quatre mains sur un projet commun. Chacune de leur installation est une remise en cause jamais laissée comme telle ; c'est-à-dire que le questionnement est suivi de l’espoir. Si City on Fire nous provoque en brûlant les monuments de la culture occidentale (la fontaine de Trevi, le musée d’art d’Århus, etc.) c’est pour mieux nous inciter à réfléchir sur des éléments de notre identité que – par cause de familiarité – nous oublions trop souvent de considérer.
  

   Le contexte qui fut celui de l’installation – la célébration du 200ème anniversaire du bombardement de Copenhague par les Anglais et l’incendie du clocher qui était le cœur spirituel de la ville – nous tire irrésistiblement vers ce genre d’interprétations qui mettent en jeu le couple destruction/reconstruction. C’est d’ailleurs ce que le directeur du conseil paroissial de la cathédrale déclara : « le feu ici symbolise une église nouvellement édifiée »3. Mais dans l’église Notre-Dame de Copenhague, l’installation ne prend pas uniquement ce genre de sens. City on Fire, à l’instar de tout chef-d’œuvre transcende les contingences qui lui sont imposées4. Ainsi, cette création ne manque pas de renvoyer au passé violent de l’Eglise, qu’il soit subi ou causé par l’institution religieuse. On pense bien sûr à Jeanne d’Arc et de nombreux autres qui furent brûlés vifs pour hérésie mais aussi aux nombreuses églises qui furent incendiées telle celle d’Oradour-sur-Glane, lorsque le 10 juin 1944 les soldats allemands enfermèrent les habitants dans l’église du village pour les y asphyxier et finalement achever leur massacre à l’arme à feu avant d’incendier le village. A partir de l’œuvre, notre pensée peut suivre le fil des tragiques épisodes qui ont rythmé et rythment toujours l’histoire humaine.
   Si le village d’Oradour-sur-Glane ne renaitra jamais de ses cendres puisqu’il a désormais vocation à perpétuer la mémoire des évènements ignobles et injustes subis par certains pendant la Seconde Guerre mondiale, l’église Notre-Dame de Copenhague a quant à elle été reconstruite quelques années après son incendie. C’est dans cette nouvelle construction (1ère moitié du 19ème siècle) que les flammes fictives de City on Fire s’épanouissent à la mémoire, certes de la destruction de l’église, mais aussi de la capacité que possède l’homme de se relever et de reconstruire, réparer, renaitre, recommencer...

   Mais City on Fire demande aussi à être considéré en dehors de tout contexte historique et politique. En effet, l’espace sacré et liturgique révèle une dimension latente de l’œuvre, une dimension supplémentaire, qui n’attendait pour se manifester que le lieu qui lui appartient : le sacré.

 

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© T. Hilden & P. Diaz

 

• Le feu sacré : les dimensions spirituelles de City on Fire
 

   Le feu et le sacré ont en commun leur nature ; à l’image du feu, le sacré est quelque chose de terrible et de fascinant ; on doit s’en approcher, tout en sachant rester à distance : c’est le mysterium tremendum et fascinans qui définit le numineux selon Rudolf Otto 5 On peut estimer que depuis les débuts de l’Humanité le feu a un rôle dans les rituels religieux. Ainsi, dans l’Antiquité gréco-romaine, les Vestales étaient chargées de ne jamais laisser le feu, le foyer commun, s’éteindre. Les victimes sacrificielles étaient immolées sur l’autel, la fumée devant ainsi parvenir aux dieux. Dans l’hindouisme le feu sacrificiel, le feu du foyer, et le feu de la guerre sont unis dans la divinité « Agni ». Les exemples pourraient se multiplier. Concernant la tradition chrétienne, on doit bien entendu mentionner l’apparition de Dieu à Moïse, sous la forme d’un buisson en feu : « L'ange de Yahweh lui apparut en flamme de feu, du milieu du buisson. Et Moïse vit, et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait pas. Moïse dit: "Je veux faire un détour pour considérer cette grande vision, et voir pourquoi le buisson ne se consume point." Yahweh vit qu'il se détournait pour regarder; et Dieu l'appela du milieu du buisson, et dit: "Moïse!" Il répondit: "Me voici." » (Ex 3, 2-4). Le buisson ardent, la manifestation divine est un feu qui ne brûle pas, un feu incombustible, comme l’est – de façon différente puisqu’il ne s’agit pas d’un feu miraculeux mais d’un feu fictif – celui de City on Fire. Le feu est donc le médium adéquat de l’épiphanie, de la révélation de la présence divine. Dans le rite liturgique contemporain, lors des cérémonies pascales, on allume le cierge le jour de Pâques afin de symboliser la résurrection du Christ ; cette flamme qui s’allume, qui reprend vie, est le symbole de l’espoir de la résurrection. Chez les Orthodoxes, chaque année le rituel du feu sacré est célébré en l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem, lorsque la veille de Pâques, les flammes naissent miraculeusement à l’endroit du tombeau du Christ 6 (voir une vidéo). Un feu, qui si l’on en croît certains témoins ne brûle pas.

 

© T. Hilden & P. Diaz


   Le feu est le symbole du pouvoir de transformation et de régénération. Le cierge pascal symbolise la résurrection et chez les alchimistes, le feu est l’élément central de la transformation. La purification, le passage par le feu peut être une « revitalisation ». C’est d’ailleurs un terme employé par Thyra Hilden7; l’artiste évoque City on Fire comme une installation qui brûlerait l’histoire violente et politique de l’Eglise pour en revitaliser les racines purement spirituelles : « la religion est passée par le feu et maintenant nous pouvons en retirer les éléments spirituels »8. L’artiste estime en effet que le processus de sécularisation a entrainé la perte de pouvoir politique des institutions religieuses, ce qu’elle juge de manière positive puisque les artistes les plus contemporains peuvent désormais créer pour les lieux sacrés sans avoir peur d’être mêlé à des enjeux politiques ; la relation avec l’Eglise en tant qu’institution s’est, dans les vingt dernières années, dédramatisée9.

 

  © T. Hilden & P. Diaz

 


• Un immense succès pour une œuvre aux dimensions multiples
  

   Le succès de City on Fire dans la cathédrale de Copenhague fut immense et populaire. Des milliers de personnes se déplacèrent pour pénétrer dans cette église « en feu ». La réception médiatique fut tout aussi unanime et positive. L’installation est sans conteste spectaculaire ; avions-nous auparavant vu un feu fictif enflammer l’intérieur d’une église ? Les artistes jouent sur la propension qu’ont les hommes à réagir à ce qui est étonnant, grandiose. A ce niveau, l’installation City on Fire peut sembler être de l’ordre du divertissement. Mais il n’en est rien car l’aspect spectaculaire est uniquement le mode sur lequel l’œuvre s’empare de nous afin de nous retenir assez longtemps dans le lieu, plutôt que de déambuler d’un pas pressé comme nous le faisons si souvent dans les musées. Qu’on le regrette ou pas, il faut aujourd’hui quelque chose d’extrêmement puissant pour réussir à attirer de manière profonde l’attention des spectateurs. Le lieu qu’est l’église, combiné à la force d’attraction et de signification de City on Fire, créent un lieu où les visiteurs peuvent s’attarder, méditer et rêver. La contemplation devant le feu est « l’élément de la pensée, l’élément de choix de la rêverie »10, écrit Gaston Bachelard, pour qui la rêverie est un mode de pensée complexe et important : « la rêverie est vraiment prenante et dramatique ; elle amplifie le destin humain ; elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, la vie d’une bûche et la vie du monde »11.
   Ce pouvoir de cohésion du feu est un pouvoir que possède City on Fire ; l’installation de Thyra Hilden et Pio Diaz nous permet d’entrer en connexion avec des épisodes de l’histoire de l’humanité, avec des caractéristiques de cultures différentes, avec différentes dimensions religieuses et spirituelles, avec les personnes qui nous entourent ici et maintenant ou avec celles qui ne sont pas ou plus là. Thyra Hilden confie qu’elle considère les œuvres comme des « ponts » à travers lesquels des connexions se tissent et grâce auxquels on peut ressentir une sensation de cohésion – c’est à dire l’intuition d’appartenir à quelque chose qui nous dépasse12. Face à cette œuvre, les visiteurs adoptent des attitudes différentes, selon leurs besoins, selon leurs sentiments, selon le moment auquel ils viennent. Ainsi lors du vernissage, les gens prenaient des photographies par dizaine et n’hésitez pas à parler à voix haute, tandis que dans la semaine, tard la nuit, Pio Diaz relate que certaines personnes s’installaient simplement pour méditer ou prier, une fois les bruits et les flashs disparus, et l’installation leur appartenait alors complètement.

 

   Depuis que City on Fire fut installée dans la cathédrale de Copenhague, deux autres églises ont été le théâtre de cette œuvre, Katarinenkirche à Francfort en 2008 et l’église de la Trinité de Gdańsk il y a quelques semaines, du 1er au 10 septembre 2009. Il ne faut cependant pas s’y méprendre : City on Fire n’est pas une œuvre religieuse car elle n’admet pas ce genre de restrictions et sa signification et sa portée ne se trouvent pas uniquement dans la dimension sacrée du feu. La dimension spirituelle de l’œuvre représente l’un de ses potentiels, de même que lorsqu’exposée en Ukraine pour « brûler » des pipelines de gaz, l’installation prenait une dimension politique et polémique que le lieu sacré qu’est l’église n’amène pas à la surface, ne révèle pas.


   Le projet continue actuellement, les artistes et les visiteurs découvrant de nouvelles dimensions dans lesquelles l’œuvre s’épanouit… à quand l’opportunité de rêver devant la danse des flammes de City on Fire en France ?

 

 

 

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Les différents lieux dans lesquels City on Fire a été installé :

Italie, Rome, Bibliothèque de l’Institut d’Études Classiques, 20 novembre 2005
Italie, Rome, Institut danois, 17 décembre 2005
Italie, Rome, Fontaine de Trevi, 31 décembre 2005
Danemark, Århus, ARoS Museum for Modern Art, du 17 janvier au 1er février 2007
Danemark, Århus, Esbjerg Kunst Museum, du 17 janvier au 1er février 2007
Danemark, Copenhague, Église Notre-Dame (Cathédrale de Copenhague, « Vor Frue kirke »), 1-11 septembre 2007
Ukraine, Kiev, du 5 au 8 octobre 2007
Allemagne, Francfort, Katarinenkirche, du 6 au 11 avril 2008
Allemagne, Berlin, Haus Hardenberg, du 5 au 23 décembre 2008
Corée, Séoul, Séoul Museum of Art, du 9 au 12 décembre 2008
Pologne, Gdańsk, Église de la Sainte-Trinité, 1-10 septembre 2009

 

 

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Sources
* Entretien avec Thyra Hilden et Pio Diaz, réalisé le 10 août 2009
* Site internet de « City on Fire », par Thyra Hilden et Pio Diaz, en anglais : www.cityonfire.org
* Nicoletta Isar, « Pinxit Pixel Fulgura : The Hierotopy of Fire or the Dance of the Salamander », article disponible sur le site de “City on Fire” (anglais) : http://www.cityonfire.org/projects/Katharinenkirche/page3.html
* Julie Damgaard, « The Eternal Fire – Fire as Spiritual and Holy Symbol »; article disponible sur le site de “City on Fire” (anglais) : http://www.cityonfire.org/page11/page14/page14.html
* Olga Miłogrodzka, “Right here, where in the bright light the past and the present can recognize each other”, texte écrit à l’occasion de la projection de City on Fire dans l’église de la Trinité à Gdańsk, septembre 2009; en anglais, sur le site de “City on Fire”: http://www.cityonfire.org/page11/page40/page40.html
* Anna Klitgaard, « Kirke i flammer » in Kristeligt Dagblad, 30 août 2007 (en danois)

* Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, [1ère éd. 1949] 2008

 

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Notes

1. Définition du Centre National de Ressources Linguistiques : « Symbole primitif et universel appartenant à l'inconscient collectif de l'humanité et se concrétisant dans les contes, les mythes, le folklore, les rites etc. des peuples les plus divers ». L’utilisation de ce terme, avec celui d’ « inconscient collectif » ou « imaginaire collectif » ont été développé par C. G. Jung et présuppose qu’il existe des choses qui nous concernent tous et toujours.
2. Cf. Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu [1949], Paris, Gallimard, 2008, p. 15
3. Karsten Fledelius, propos rapportés par Anna Klitgaard, « Kirke i flammer », Kristeligt Dagblad, 30 août 2007 : « Ilden herinde symboliserer en nyligt opstået kirke » (ma traduction).
4. Cf. le très bon texte écrit par Olga Miłogrodzka, “Right here, where in the bright light the past and the present can recognize each other”, texte écrit à l’occasion de la projection de City on Fire dans l’église de la Trinité à Gdańsk, septembre 2009; en anglais, sur le site de “City on Fire”: http://www.cityonfire.org/page11/page40/page40.html
5. Rudolf Otto, mais aussi René Girard pour qui le sacré déchaîne la violence et nous en protège
6. Merci à Nicoletta Isar d’avoir porté à notre connaissance ce rituel du « To Hagion Phôs sta Ierosolyma »)
7. Thyra Hilden dans un email à l’auteur : « vitalisation of spiritual values » 6 août 2009
8. Thyra Hilden, entretien avec l’auteur, Copenhague, le 10 août 2009
9. En tout cas ceci est vrai en ce qui concerne l’Eglise évangélique-luthérienne danoise.
10. Gaston Bachelard, op. cit., p. 42
11. Ibid., p. 39

12. Thyra Hilden, dans un entretien avec l’auteur, Copenhague, 10 août 2009

 

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