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Narthex - Art Sacré, patrimoine, création.

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Promenade romane

Publié le : 20 Juin 2009
Les abbayes de Sénanque et du Thoronet.

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De tout mon cœur, je quête ton regard. (Psaume 118-8)

1. Simplicité


    La simplicité comme le sourire éclairent le visage.
    Dans La Reine morte, le roi Ferrante découvre de cette manière qui est dona Inès : en la faisant sourire, ce qui le renseigne aussitôt sur la personne rencontrée.
De même la simplicité d’une architecture – simple et non pas simpliste – nous informe sur l’homme.
    Simplicité qui se manifeste au contact de Sénanque et du Thoronet, les deux corps de bâtiment sur lesquels nous voulons arrêter aujourd’hui – dans l’aujourd’hui de l’écriture – notre regard.
    La simplicitas est d’abord une vertu, seuil de toutes les autres. Physiquement, elle donne signe de vie quand nous nous approchons du lieu de prière : un chemin qui tourne, l’apparition des toits et ce lieu à part crée déjà dans l’âme comme un espace blanc, un vide comparable à l’approche de la mer.
    Puis l’apparition de l’abbaye, incurvée sur elle-même comme un chat dans son panier, l’impression de refuge, l’église sommée d’une croix sans ornements, pour peu que l’air résonne d’un vrai silence, achèvent de préparer la rencontre.
    Cette simplicité vient se loger dans l’œil, et s’y trouve chez elle. On l’identifie à la clarté qu’elle provoque dans le regard.

 

2. Cuirasse


    Mais si les abbayes cisterciennes produisent immanquablement cette sorte de simplification du regard, cela ne va pas non plus sans dire.
    Toute purification sensuelle se présente comme une épreuve. L’architecture conventuelle en est comme le symbole, entourée d’une enceinte. Elle se fait obstacle à elle-même.
    Le spectacle qu’offre une abbaye cistercienne produit pourtant une forme d’identification. L’œil considère avec attention l’architecture de Sénanque ou celle du Thoronet, et ne peut manquer d’être victime d’une inversion subite des perspectives : très vite, c’est l’architecture qui considère l’homme.


    Comment le voir ? De l’extérieur, en plein midi, ronronne une architecture fermée de squelette, organisée au plus serré, ombres sur ombres, strate sur strate, comme des fruits disposés sur des claies. On soupèse la cascade aplatie des tuiles, le gris cinglé de chaleur des murs, les pierres sèches parfaitement ajustées – toute une cuirasse de résistance. Mais rien là qu’un corps sec et puissant d’éléphant effondré. Poussière structurée. Sans vie. L’abbaye trône comme une morte noircie. Aucun écho dans ce clocher mat.
    Une légère déception se creuse aux abords de l’absolu.
    De l’extérieur, le bâtiment n’offre ainsi que son front à la Derain et ses jointures de scarabée des sables : il reste illisible.

 

3. Profondeur


    C’est en pénétrant par le porche noyé de soleil, un jour d’été, qu’un second degré est franchi. L’homme s’établit dans la demeure comme l’œil s’habitue à la pénombre. Lentement.
    A cette progressive apparition contribue le tour du cloître. La meule de lumière tourne pour qu’éclate le grain, cette mort annoncée du vieux cœur fourbu.
    Dans la cuve nocturne et trouée de ciel, le cloître, une orientation, un sens apparaît. On ne va jamais de la lumière vers les ténèbres. On ne peut aller que dans l’autre sens.
La sortie des ombres est la mise en scène perpétuelle de l’art roman.


    Tel couloir se légitime d’une porte plein sud. Telle muraille d’un œil trilobé, si étroit qu’il ne trie plus les nuages, vire immédiatement à l’intensité blanche. Telle volée de voûtes et d’arcades épanouit le peu de pas qui nous séparent de l’illumination.
    Mais jamais atteinte, elle promet seulement d’être frôlée.
Partout rase le rayon qui, comme un couteau lent et sonore, scie la pierre dans son fût, en révèle la rivalité, la fermeture. Partout le rocher est énorme, menaçant, mais fendu. La masse mycénienne percée à jour.
    Pour être effleuré par la grâce, l’esprit a besoin de ce rappel râpeux.
    Pierres larges du Thoronet. La lumière peut vaincre en profondeur.

 

4. Echange


    La lumière peut survenir comme un miracle.
    Mais pour cela elle a besoin de n’être plus considérée comme une évidence. Il était indispensable de l’enclaver, de la sertir, de l’étreindre – pour la faire éclater comme une chose plus improbable, plus inatteignable.
    Alors apparaissent les trinités de piliers, le seuil de l’autel, l’absence de tout ornement inutile, une marche sèche. On déambule à même la pierre, et tout est uni : soi, ciel, nuit et jour. L’harmonie qui se dégage de ces éléments n’est pas loin de définir l’amour, surtout s’il donne à l’âme les proportions de l’univers.
    Cet accroissement d’être a nom : l’équanimité. La sérénité devant toute chose. Parfaite réceptivité. Clé de voûte et point d’équilibre intérieur.
    Pour prendre un raccourci de poète :

 

Au temps de l’art roman, les écoliers et les oiseaux avaient le même œil rond. Je me posais à côté de l’oiseau. Tous deux nous observions, ressemblants. (René Char, Eloge d’une soupçonnée, « Le crépuscule est vent du large »).


    C’est cette ressemblance que s’étonne de trouver l’œil.
    Dehors et dedans se parlent, s’épousent, s’épaulent.
    Dans le psaume, la contemplation de la face de Dieu si longtemps recherchée porte en elle-même sa puissance de métamorphose. Parce que l’homme voit enfin Dieu, il est changé en Dieu. Dans saint Paul (Romains 8-23) comme dans saint Jean, nous serons semblables à Dieu car nous le verrons tel qu’il est. Il est frappant de voir que c’est le regard, l’œil enfin comblé, qui permettra la métamorphose de l’âme humaine.
    L’un des grands mystères amoureux repose sur cet échange désiré et redouté : je te regarde, tu me regardes, et ma vie en est bouleversée.

 

                                                                                                                               Christophe Langlois

 

 

 


 

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