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La Bibliothèque de Théologie du Monastère de Strahov à Prague

Publié le : 26 Septembre 2009
Scientia difficilis sed fructuosa... Entrer dans une bibliothèque du XVIIème siècle en l'état et y demeurer quelque temps produit une impression profonde que ces notes tentent de restituer.

     Lire, c’est faire coïncider deux présents, celui du lecteur avec celui du livre. Selon qu’on se place du point de vue de l’un ou de l’autre, une bibliothèque, et a fortiori une ancienne bibliothèque, peut paraître tout-à-fait vaine ou absolument paradisiaque.
     La Bibliothèque de Théologie du Monastère de Strahov, visitée à l’occasion de la 39ème Assemblée Générale des Bibliothèques Européennes de Théologie qui s’est tenue à Prague du 19 au 23 septembre 2009, est exemplaire de ce paradoxe temporel.

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(c) D.R


     L’amoncellement des seize milliers de monographies anciennes, peu consultées, la plupart en latin, pourrait d’abord donner raison à Diogène cité par Jacques Bonnet dans ses Bibliothèques pleines de fantômes : « avoir des livres sans les lire c’est avoir des fruits en peinture » (p.55). Elégant cimetière de ce début de vingt-et-unième siècle, que les Lettres Théologiques de la Bibliothèque nationale de France figurent elles aussi dans la Tour des Temps. Capiteux mouroir du latin et du grec : on se dit que c’en est fini, que les livres ont pris toute la place, ils ont évacué le présent humain et la possibilité même de la lecture, nous naviguons en plein passé et ils sont égarés à jamais dans l’actualité. Il n’est plus question d’accoster mais seulement de traverser, d’un œil nostalgique et distant.
     Heureusement, privilège rare dont nous ne saurions trop remercier le conservateur des lieux, il nous fut donné de nous asseoir, ce mardi 22 septembre 2009, sur les banquettes, près des étagères, et de consulter quelques exemplaires à portée de main.
     C’est alors que le miracle de la coïncidence a pu se produire. De même que l’œil s’habitue lentement à la pénombre, il faut à l’esprit un certain temps pour parvenir à rejoindre le corps. La visite ne devient opératoire qu’en cet instant où, dans un souffle, nous nous mettons à voir les hauts murs couverts de livres.

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(c) D.R

     La bibliothèque communique sa vie propre : aisance et sécurité, abondance et curiosité, repos et silence. Elle couronne une vie d’efforts. Elle justifie notre métier de conservateur. Elle anéantit toute fatigue. L’harmonieuse contemplation se révèle entre ces deux écueils, l’ardeur polémique et l’euphorie érudite, que la bibliothèque seule sait contenir et ordonner. Comme le lieu clos de l’alchimie qui permet la métamorphose définitive, elle tourne l’esprit vers l’au-delà. Elle l’échauffe, l’excite – ne serait-ce que par les portillons dorés, en hauteur au-dessus de l’entrée, où sont conservés les Libri prohibiti...
     Tout d’abord, une impression lumineuse, donc, et paisible, un ordre tranquille, le sentiment d’une plénitude, nous saisit physiquement. Nous avons tout notre temps. Chaque chose se découvrira à nous au moment voulu. L’être décante dans le temps, ce qui permettra de distinguer pour unir.
     Sur la porte, le psaume 110, verset 9, nous accueille : Initium Sapientiae Timor Domini, le mystérieux ISTP qu’on trouve sur le frontispice de nombre de livres de théologie, la Sagesse commence par la "crainte" du Seigneur.
     Puis les rayonnages réguliers se succèdent, folios en bas, in-16° en haut, peints et surmontés des mots Classis Scripturistica, Theologica, Canonistica, Civilistica, Historica et Politica, Medica et Mathematica. Le cœur s’éveille à la lecture de ces cartouches colorés qui déclinent le classement. Comme une invite à la curiosité, à la gradation des savoirs, une promesse de les embrasser tous. Cette hiérarchie de la connaissance dégage un parfum agréable, l’esprit se découvre capable et clair, il entre en résonance avec l’acte de lire, encore futur mais déjà sensible.
      Les plafonds peints en 1721-1727 par Siard Nosecky déclinent toute sorte de citations bibliques, vita mortuis, consolatio vivis, l’art de vivre en bibliothèque. Il ne nous étonne nullement d’apprendre que ce peintre était chanoine prémontré. La délicatesse de son art qui joue avec l’allégorie pour prolonger le plaisir intellectuel et le tenir en suspension dans la lumière, consiste à illustrer les Proverbes, Psaumes, Livre de la Sagesse en s’inspirant de l’œuvre de l’abbé Hirnheim. C’est à ce dernier qu’on doit l’acquisition en 1678 d’une « roue de compilation », petit bijou de théologie synoptique qui permet de disposer en regard jusqu’à dix livres à la fois ! - véritable Windows mécanique.

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(c) D.R


     Tant de difficultés traversent l’étude, tant d’obstacles ralentissent l’effort du clerc, qu’une fois n’est pas coutume, la peinture ne distrait pas le lecteur mais le dispose : l’art n’est pas sacré, nous ne foulons pas le sol d’une église, il est pourtant au service de la bibliothèque sacrée. Il crée le cadre qui félicite les persévérants, donne leur respiration aux laborieux, leur répétant par tout un jeu de couleurs et de matières chaudes le rythme binaire du cœur secret : ora et labora. Oraison et labeur. Ce n’est pas un petit mystère que son outil de travail revigore à lui seul celui qui s’en sert.
     Le dur labeur intellectuel reçoit donc dans cette bibliothèque douce et heureuse récompense : ce paysan harassé qu’on voit choir en bordure de son champ reçoit l’hommage d’une nymphe qui lui tend la corne d’abondance. La bibliothèque est enfin conçue comme le terme d’un voyage. Il ne suffit plus de chercher, il est possible aussi de trouver. C’est en elle que se légitime une vie de privations. La Sagesse mène la Religion qui se laisse faire de bonne grâce. Et la vérité contemplée donne à l’âme cet élan immobile symbolisé par le livre : « si Dieu existait, écrit Umberto Eco, il serait une bibliothèque »
     Ce à quoi elle répond, de sa voix rêveuse : « c’est vous qui êtes morts, moi je suis vivante ».
 

Plouvier Martine
Plouvier Martine a écrit :
03/12/2021 17:44

Savez-vous que l'ordre de Prémontré a célébré cette année son 900° anniversaire ? Que sa fondation coïncide avec Noël... Connaissez-vous Mondaye, Frigolet, Conques ?

Valérie de Maulmin
Valérie de Maulmin a écrit :
03/12/2021 18:10

Oui c'est un grand et bel anniversaire pour les Prémontrés ! Nous vous recommandons vivement l'ouvrage érudit du Fr. Dominique-Marie Dauzet, L'ordre de Prémontré, Neuf cents ans d'histoire aux éditions Salvator !

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